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Les Archives du Siècle Romantique (30) – Quand Berlioz se souvient des adieux de Caroline Branchu et s’enthousiasme pour Spontini

Le voici, enfin ! L’enregistrement de l’Olimpie de Gaspare Spontini (1774-1851), « tragédie lyrique en trois actes, imitée de Voltaire », est enfin disponible dans la collection Opéra Français du PBZ, dirigé par Jérémie Rhorer à la tête de son Cercle de l’Harmonie, avec Karina Gauvin dans le rôle-titre, entourée de Kate Aldrich, Mathias Vidal, Josef Wagner, Patrick Bolleire et Philippe Souvagie, sans oublier le superbe Chœur de la Radio Flamande. (1)
 
© Elodie Crebassa
Jérémie Roher © DR
 
Une version plein de souffle et de relief, qui, en pleine célébration du 150e anniversaire de la mort de Berlioz, vient aussi rappeler l’admiration profonde et jamais démentie de notre Hector national pour l’art de son aîné et pour une Olimpie où il louait « une vérité d’accent à désespérer les maîtres les plus habiles ». Sortie à point nommé donc que celle d’un beau livre-disque (2CD) qui inspire le choix du document présenté dans ce 30 épisode des Archives du Siècle Romantique. Quelques mois après la création de la deuxième version d’Olimpie, le 27 février 1826 à l’Académie Royale de Musique, Berlioz, dans une lettre à son ami d’enfance Edouard Richer (2), évoquait une soirée qui avait été marquée par les adieux triomphaux de la soprano Caroline Branchu (1780-1850) – dans le rôle de Statira (3) –  et redisait son goût pour la musique de Spontini – avec toutefois quelques réserves sur la place des cuivres dans son orchestration ... – avant de conclure en louant le « génie » de son collègue.

Daté des 1er et 2 juin 2016 à la Philharmonie de Paris, l’enregistrement d’Olimpie a donc été réalisé juste avant la soirée qui, le 3 juin, ouvrit le 4ème Festival Bru Zane à Paris. (4) Celle qui inaugurera la 7ème édition de la manifestation, le 1er juin prochain, toujours dans la salle de l’avenue Montaigne, promet de faire tout autant l’événement, mais dans un répertoire bien différent. Année Offenbach oblige, Maître Péronilla est à l’affiche ; un opéra-bouffe en trois actes, daté de 1878, qui ne compte pas moins de ... 26 rôles ! Avec 16 chanteurs sur scène : cette version de  concert fait à elle seule figure de festival du chant français puisque la distribution rassemble Véronique Gens, Chantal Santon-Jeffery, Anaïs Constans, Antoinette Dennefeld, Eric Huchet, Tassis Christoyannis, François Piolino, Patrick Kabongo, Loïc Félix, Yoann Dubruque, Matthieu Lécroart, Raphaël Brémard, Jérôme Boutillier, Antoine Philippot, Philippe-Nicolas Martin et Diana Axentii. Un enregistrement est programmé pour Opéra Français, il va se soi.
 
Alain Cochard

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Hector Berlioz à Edouard Richer
Paris, 15 juillet 1826

 
Tu as su les détails de la retraite de Mme Branchu dans Olympie ; elle a été, si on peut le dire, plus sublime que de coutume ; et à la fin quand Talma et Dérivis l’ont couronnée, j’ai cru que la salle s’écroulait. Les chœurs de l’opéra sont venus après la représentation dans sa loge lui offrir un cadeau d’adieu, consistant en une couronne de diamants d’un grand prix. Elle m’a assuré que cet hommage entièrement désintéressé de la part de ceux qui le lui ont offert était celui de tous qui lui avait été le plus agréable. Il y a eu une députation des membres de l’Institut auprès de M. Sosthène [de la Rochefoucauld] pour lui demander de l’engager encore un an ; et le corps entier de nos célèbres compositeurs n’a pu obtenir de lui cette faveur.
 
Caroline Branchu © Collection Villa Medicis

Spontini, qui était intéressé là dedans plus que tout autre, a demandé qu’elle joua seulement 3 fois encore Statira dans Olympie ; Sosthène l’ayant refusé, l’illustre compositeur n’a plus gardé de mesure. « Vous vouliez me nommer directeur de l’Opéra, lui a-t-il dit, mais vous n’êtes pas digne d’avoir Spontini pour adjoint, tenez, voilà mon engagement (là-dessus il le déchire et le jette à ses pieds), vous ne méritez pas de dénouer les cordons des souliers d’un homme de génie ; vous voulez tuer les arts, mais souvenez vous que vous tomberez et que les arts ne tomberont pas. » À ces mots, il est sorti et en fermant la porte du salon de Sosthène il l’a fendue du haut en bas. Il est aussitôt parti pour Berlin laissant sa femme ici, et son opéra entre les mains de Mlle Quiney qui, secondée de Sosthène, l’a bientôt eu coulé bas. C’est un ouvrage sublime, en tout point digne de l’auteur de La Vestale ; seulement, il y a des endroits qui sont trop chargés de cuivre ; en général, il l’a trop prodigué dans tout l’opéra. Spontini est parti la rage dans le cœur, il a de quoi se consoler : toute l’Allemagne est à ses pieds ; c’est le génie du siècle.
 
(manuscrit sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53032617n )
 
 

(1)
(2) Edouard Richer, héritier d’une dynastie de distillateurs, vivait à La Côte-Saint-André
(3) Rôle déjà tenu par C. Branchu lors de la création de la 1ère version d’Olimpie le 22 décembre 1819
(4) 7e Festival Bru Zane à Paris, du 1er au 30 juin 2019 / parisfestival.bru-zane.com/

Photo © DR

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