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Les 37e journées du Ballet de Hambourg - Plongée en apnée - Compte-rendu

On a le souffle coupé en consultant le pléthorique programme que proposent ces traditionnelles célébrations : y est offert comme sur un tapis rouge tout ce qui fait du ballet de Hambourg la tête de pont chorégraphique de l’Europe et probablement du monde. Avec un chorégraphe tel que John Neumeier, alors que sont partis les Robbins, Bausch et Béjart et que reste juste un Kylian, à l’inspiration plus clairsemée malgré son talent, la compagnie connaît un formidable rayonnement. D’autant qu’outre la constitution d’un énorme répertoire depuis plus de 40 ans, l’implantation de la danse à Hambourg a aussi pris les formes d’une Ecole, dont l’excellence ne cesse de croître, d’une Fondation, où sont entreposées les considérables collections de Neumeier, et bientôt d’un Ballet de jeunes pour cet automne.

Comme à l’ordinaire, les Journées se concluent sur une grande soirée de gala où défilent des étoiles de la compagnie et des vedettes du monde entier. Mais cette année, vouée à Mahler, elles ont surtout offert la création d’une œuvre ambitieuse, comme toutes celles qui ont jalonné la carrière créatrice de Neumeier, engagé dans une transposition scénique de l’œuvre symphonique de Mahler, les 2e et 8e Symphonies exceptées. Et pour la première fois, sa descente dans l’univers du compositeur le confronte à sa vie et non seulement à la substance de sa musique : « pour la création de ce Purgatorio, axé sur l’inachevée Xe Symphonie et sur des lieder d’Alma Mahler, je n’ai pu séparer l’œuvre de l’état d’esprit du compositeur pendant sa gestation, état d’esprit particulièrement désespéré ». Le ballet, l’un des plus émouvants de Neumeier ces dernières années, montre donc le héros abîmé dans le désastre de sa vie privée, rongé de solitude, et se réfugiant dans un retour au sein maternel, puis émergeant grâce à la pression de l’esprit créateur, entouré d’ une poignée de danseurs bondissants, tels des notes en folie.

Musique magnifique, on l’imagine, notamment pour les lieder interprétés par l’orchestre de Hambourg sous la direction de Simone Young, et par Charlotte Margiono, dont Neumeier a absolument voulu la présence alors qu’elle ne chante plus guère. Interprétation brûlante, car le Ballet de Hambourg ajoute désormais à la qualité académique de ses danseurs, une brassée de personnalités aux styles marqués. De la surprenante Hélène Bouchet, « si moderne » dit John Neumeier, à la fois altière et fluide, ballerine unique dans l’histoire de la danse, au prenant et écorché Lloyd Riggins, qui avait déjà montré sa profondeur dans ce type d’incarnation, avec le Aschenbach de Mort à Venise, du même Neumeier.

Le reste de la programmation, outre la venue du Ballet National Chinois, montre l’étendue de l’horizon chorégraphique du maître hambourgeois , renouvelé et pourtant immédiatement reconnaissable, sur 40 ans : du troublant et pétillant Songe d’une Nuit d’Eté, sans une ride depuis 1977, à l’austère et crépusculaire Orfeus, pour lequel Neumeier a repris l’Apollon Musagète de Stravinski et à son Parsifal, somme dure et âpre de ses angoisses d’homme, de même que sa poignante vision des souffrances et illuminations de Louis II de Bavière, héros de son Lac des Cygnes revisité, baptisé Illusionen, là aussi chef d’œuvre absolu.

La perle en demeurera pourtant son Pavillon d’Armide, troisième volet de sa trilogie Nijinski, où il a su mêler la folie du danseur- créateur et ses souvenirs glorieux en une rêverie cruelle où chaque apparition poétique d’une Karsavina ou Pavlova, agit comme une piqûre d’épingle. Le tout sur la musique gentille de Tcherepnine, dont le caractère inoffensif ajoute encore à l’atroce chagrin de cette vie qui s’enfonce dans la nuit après avoir été lumière. La troupe y tourbillonne à son maximum, et même si l’on regrette Otto Bubenicek, souffrant, on a savouré la présence sensuelle et dionysiaque d’Alexandre Riabko, élément majeur de la compagnie, environné des silhouettes arachnéennes d’Hélène Bouchet et Joëlle Boulogne et du diabolique d’Ivan Urban, aux gestes dessinés comme une menaçante calligraphie, émanation de Diaghilev. Quant à John Neumeier, insaisissable, il ne va pas s’arrêter là ! Il réserve une surprise de taille pour décembre, car chez ce créateur sombre et torturé, l’humour est toujours au rendez-vous. Mais ceci est une autre histoire.

Jacqueline Thuilleux

Opéra de Hambourg, 37 Hamburger Ballett-Tage , jusqu’au 10 juillet 2011. Spectacles des 28, 29 et 30 juin 2011

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Photo : Holger Badekow
 

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