Journal

Les 25 ans du Temps d’Aimer la Danse à Biarritz - De surprise en surprise - Compte rendu

Que de temps psychologiques, historiques, géographiques, stylistiques réunis sous cette égide biarrote pour un survol passionnant de la danse du jour, qu’elle offre des découvertes inattendues, qu’elle montre à quel point elle est insérée dans son temps, qu’elle s’en éloigne pour se vouloir intemporelle, qu’elle dérange ou séduise, comble ou déçoive ! Toutes ces directions de recherche et de plaisir, Thierry Malandain, directeur artistique du festival, les assume, avec la part de risque qui donne sa valeur à l’entreprise. Les heureux spectateurs de la soirée d’ouverture, bénéficiant d’un temps clément sur la plage du Port Vieux, se sont délectés de l’Estro (photo) de Malandain, dansé par Ballet Biarritz puis de Monger dû à l’Israélien Barack Marshall, par le Ballet Junior de Genève. Tout comme seront comblés ceux qui verront l’excellente Compañia Nacional de Danza, venue de Madrid, et revivifiée par José Martinez.
 
Entre temps, cinq volets, aussi disparates que possible, de la galerie offerte : en tout premier, le solo Utt, interprété par Maï Ishiwata, danseuse de la compagnie Ariadone créée par la grande Carlotta Ikeda en 1978. On ne prononce pas sans un secret frisson le nom de cette femme extraordinaire décédée l’an dernier. Cette japonaise fortement occidentalisée a porté haut dans son identité de femme le terrible butô, ou danse des ténèbres, réponse masculine à l’immense désarroi engendré par Hiroshima. Utt, qui fut l’une de ses signatures d’interprète, bien que chorégraphié par Ko Murobushi, n’est pas une danse : c’est une sorte de descente en soi, d’ouverture à la souffrance, de cri silencieux, de torsion de l’être jusqu’à l’anéantissement, qui s’exécute, entre des secousses, comme une lente pétrification. Image shintoïste en costume, ou figure noyée dans ses cheveux et ses chiffons, le solo offre un moment de tension extrême, et bouleverse beaucoup plus loin que les limites de la sensibilité temporelle. Ishiwata, avec son corps musculeux, ses jambes torses et ses larges pieds y reprend formidablement la suite d’Ikeda.

Si Peau d'Âne m'était conté © J.F. Rabillon
 
A des années lumière, le charmant Si Peau d’Âne m’était conté de Marie-Geneviève Massé(1), directrice de la compagnie L’Eventail et dispensatrice de plaisirs baroques allégés. Contée avec le chic et le style souple qui marquent son travail, la pièce, donnée en création, gomme heureusement le côté sinistre du conte pour en faire un doux moment à l’attention d’une clientèle essentiellement enfantine. Cadichon craquant, jolies robes, décor inventif, avec des incises du côté de la comédie musicale -la princesse danse notamment sur I feel Pretty de West Side Story-, entre Purcell et Vivaldi, humour léger, bref, on y a pris plaisir, comme La Fontaine, sans toutefois retrouver l’intensité des grandes créations de la chorégraphe.
 
Forte déception en revanche avec le programme mélangeant Nacho Nuato et Jean-Philippe Dury, ce dernier créateur du petit groupe Eléphant in the black box company : Dury, transfuge de l’Opéra, où il a appris la belle danse, mène de loin son groupe mais ses chorégraphies, diablement ambitieuses, tournent en rond sans qu’on y comprenne grand chose, à part le plaisir de corps ondulant agréablement. Quant à la reprise de la pièce de Duato, Remanzo, quinze minutes façon gala, réglées en 1997, elle requiert une technique souple et fluide que les danseurs de Dury n’ont pas.
 
Amère déception aussi avec une troupe de solide réputation même si on la pratique peu en France : le Ballet de Maribor, plus grande troupe classique de Slovénie, a mis la barre haute avec le Stabat mater de Pergolèse et le Sacre du printemps de Stravinski, tous deux de son directeur, le roumain Edward Clug. Du premier, on retient sa vulgarité, avec son défilé de filles en talon sur un podium, avec quelques bonnes idées comme celle de la gestation de Marie, du second, encore moins, juste un mixage d’images de Béjart et de références à Nijinsky, avec l’impression gênante que rien n’a de sens et que surtout la musique est à peine suivie, dans une ambiance glaciale.
 
Enfin, une vraie rencontre, celle de l’univers de Faizal Zeghoudi, franco-algérien plus que doué pour parler le langage des corps. Avec des images fortes et une musique techno ou orientalisante qui cogne et donne le vertige, il montre le trouble et la douleur de l’identité féminine plongée au cœur de la dureté culturelle du monde musulman, mais sans propos véritablement polémique. D’abord libre, la danseuse tente de vivre ouvertement, puis se trouve engloutie dans un univers féminin voilé et fermé avant de s’engager dans un long corps à corps avec un partenaire qui la savoure et la consomme sans brutalité, en une longue sinusoïde où tout se mêle comme dans un rêve, à corps et à coeur. Cette ambitieuse Chorégraphie de la Perte de Soi, au propos osé si l’on songe que le couple est entièrement nu, est pourtant d’une grande poésie et d’une parfaite décence car tout y est fait dans une pénombre subtile, où angoisse et érotisme se répondent dans une ambiguïté de bon goût, de surcroît portée par des interprètes magnifiques, Oliver Tida-Tida et Deborah Lary notamment. Installé à Bordeaux, Zeghoudi, incontestablement, est une force.
 
Jacqueline Thuilleux

(1) On retrouvera Si Peau d'Âne m'était conté, le 8 octobre, dans le cadre du Festival baroque de Pontoise / www.festivalbaroque-pontoise.fr
 
Festival Le Temps d’Aimer la danse, Biarritz, spectacles des 12, 13 et 14 septembre 2015. Compañia Nacional de Danza, le 18 septembre 2015, Gare du Midi. Lauréats du Concours (Re)connaissance le 19 septembre 2015, Colisée. Samir Calixto le 19 septembre 2015, Casino. www.letempsdaimer.com
 
Photo Estro (chor. T. Malandain) © O. Houeix

Partager par emailImprimer

Derniers articles