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L’Ensemble Zoroastre à l’Abbaye Notre-Dame du Bec - Eclat du son, profondeur du cœur - Compte rendu

Que de contrastes violents à gérer pour garder le meilleur de ce beau concert : splendeur du ciel bleu et du soleil triomphant, blancheur dépouillée de l’Abbaye émergée dans sa rigueur classique de siècles troublés, joie collective d’un ensemble de talents vocaux et instrumentaux réunis pour chanter une gloire divine, enthousiasme du public: et tout cela en hommage à la sereine image du Père Hamel, assassiné l’an dernier à Saint Etienne du Rouvray et dont l’Eglise vient d’entamer le procès en béatification. Un étonnant contraste auquel l’éclat des musiques donnait un sens suprême.
 

Savitri de Rochefort à la tête de l'Ensemble Zoroastre © DR
 
Sur terre, donc, un beau chemin que trace depuis 2012  l’Ensemble Zoroastre, groupe vocal et instrumental d’environ 35 musiciens, né de l’énergie fédératrice de Savitri de Rochefort (photo), jeune femme  d’une énergie irrésistible, et qu’elle a fondé avec l’aide de Claude Massoz, chef de chœur. Minimalisme de la silhouette, largeur contrôlée du geste, le contraste, là aussi, est saisissant, car la passion de la chef est contagieuse : après de longues et fortes études à Paris et aux Etats Unis, plus intéressée par le tissu musical que l’ego ou l’hédonisme de l’interprétation pure, elle a travaillé avec Claude Ballif, ce qui n’est pas rien, et chanté de tout son soprano dans les chœurs de l’Orchestre de Paris sous Arthur Oldham, puis s’est  replongée dans les délices des cours de fugue et de fontrepoint au CNSMDP – où elle fut notamment l’élève de Thierry Escaich –, avant de s’émanciper en créant son groupe Zoroastre. Un nom solaire qui va bien à la fougue de cette brindille, née en Inde avant d’être adoptée par une famille française.
 

Thierry Escaich © William Beaucardet
 
De Thierry Escaich, qui ne tarit pas d’éloges sur son ancienne élève, elle a su fidéliser la collaboration en obtenant qu’il accompagne l’ensemble du concert, et a inscrit à son programme une œuvre témoignant de la douleur de la condition humaine, que l’organiste –compositeur sait si bien peindre. La pièce choisie, Terra Desolata, créée en 2002, est une sorte de plainte divine empruntée au Livre de Jérémie, et fait gronder, psalmodier, gémir le chœur en une longue avancée dépouillée d’ornements, sinon la douce tenue du théorbe dialoguant avec l’orgue. Comme un retour aux affres de l’aventure humaine. Le virtuose a ensuite succédé au penseur en improvisant avec la richesse que l’on sait, sur l’orgue de l’église abbatiale, offert à Notre-Dame-du-Bec par la famille de Norbert Dufourcq, dont il était la propriété.

Pour le reste, encadrant cette incursion dans l’écriture contemporaine, deux délires baroques, deux odes triomphales à la voix, à l’énergie de l’homme chantant, au plaisir de l’écriture. On joue trop peu le Miserere en ré mineur, écrit en 1730 à Venise par Hasse. Il s’agit pourtant d’une pièce maîtresse par sa richesse expressive, annonçant déjà les grands oratorios de Haydn, porteuse des couleurs d’un monde germanique vigoureux et pas un instant gâté par le maniérisme baroque. Un chemin bien tracé par le chœur, exultant dans le plaisir de ces volutes, autant que par les voix solistes émergées de l’ensemble. On a notamment apprécié celle finement ciselée, de la soprano Nathalie Gauthier.
 
En apothéose, le fameux Dixit Dominus, écrit par Haendel dans l’ardeur créatrice de ses 22 ans. Un véritable feu d’artifice, où la patte du chef doit être particulièrement attentive, car la musique fuse dans tous les sens, explosant sur un Gloria final plus que périlleux, après la douceur du duo de sopranos, bref moment d’accalmie, où on a savouré  le timbre doré et le velouté de Céline Duroussaud, outre la grâce de Joanna Malewski. De ces grandes envolées à l’enchevêtrement d’une complexité extrême, Savitri de Rochefort se joue, guidant ses troupes d’une main à fois analytique et survoltée, redonnant jeunesse à un répertoire que les puristes du moment affadissent parfois. De moins en moins heureusement !
 
Jacqueline Thuilleux

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Le Bec-Hellouin, Abbaye Notre-Dame-du-Bec, le 26 mai 2017.
 
Photo © Caroline Prévost

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