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L’Ensemble Les Surprises recrée Issé de Destouches – Des mousquetaires à la musique

Lancé en 2010 par l’organiste et claveciniste Louis-Noël Bestion de Camboulas (photo) et la gambiste Juliette Guignard, l’Ensemble Les Surprises a bien choisi son nom. Curieux et toujours partants pour s’écarter des sentiers balisés, ces musiciens baroques de la nouvelle génération se consacrent beaucoup à la redécouverte de partitions oubliées, françaises en particulier. Après la résurrection, pleinement réussie, des Eléments d’André-Cardinal Destouches (1672-1749) et Michel-Richard Delalande (1), Les Surprises reviennent à Destouches avec Issé, un ouvrage qui sera recréé en version de concert au Festival de Radio France Occitanie Montpellier le 18 juillet, puis repris au Festival de Saintes (20 juillet), à Sinfonia en Périgord (31 août), au Festival Baroque de Pontoise (12 octobre) et, enfin, le 13 octobre, à l’Opéra Royal de Versailles (2) - où un enregistrement sera réalisé pour Ambronay Editions (3)  – : une liste de manifestations et de lieux dont l’importance souligne la place que Les Surprises occupent désormais dans le paysage musical.
© C. Grelie

Des mousquetaires à la musique
Personnage étonnant qu’André Cardinal Destouches ! Au sortir de ses études chez les jésuites, il évolue d’abord dans le milieu diplomatique et accompagne en 1687 une mission au Siam. De retour en France, il s’engage dans les mousquetaires du Roi et participe au siège de Namur en 1692. C’est dans ce contexte – inattendu ! – qu’il découvre sa passion pour la musique, passion qu’il va ensuite nourrir grâce à l’enseignement d’André Campra – emprunt-compliment : ce dernier glissera quelques airs de la plume de son élève dans L’Europe galante (1697) ...
Date importante dans le parcours de Destouches, 1697 voit surtout la création de son tout premier ouvrage lyrique, Issé, devant la Cour à Fontainebleau. Sur un livret d’Antoine Houdar de la Motte, l’artiste a conçu une partition qui sera redonnée dès 1698 à Versailles, puis en 1708 à l’Académie Royale de Musique. Au fil des diverses reprises, l’auteur peaufinera son travail pour arriver à la version finale de 1724. Le succès d’Issé dépassera toutefois largement la mort de son auteur et l’œuvre sera jouée jusqu’en 1773 à Versailles.
 
Issé, pastorale héroïque
« Le choix d’Issé se situe dans la continuité du travail que j’ai effectué sur les Eléments, explique L.-N. Bestion de Camboulas. Je me suis intéressé à tout ce que Destouches a écrit ; finalement assez peu de choses. La particularité du compositeur tient à ce qu’il a signé uniquement des opéras (et une cantate profane), mais pas du tout d’ouvrages instrumentaux. En explorant sa production, j’ai été séduit par la musique d’Issé, créé dix ans après la mort de Lully. Destouches s’ancre dans la tradition lulliste – il faut plaire à Louis XIV ! – et écrit à cinq parties comme le Surintendant. Reste qu’avec Issé, on n’a pas affaire à une tragédie lyrique mais à une pastorale héroïque (en un prologue et cinq actes), genre qui mêle des personnages et des épisodes tragiques à des personnages et situations comiques. L’époque n’était plus à des tragédies interminables. »
 
La partition d’Issé (la version de 1724 a été retenue), dans laquelle L.-N. Bestion de Camboulas n’a pratiqué que de « très légères coupes », dure deux heures environ et séduit par ses contrastes et sa variété. « Issé associe des éléments de pastorale à d’autres de nature tragique, précise le chef des Surprises, et présente un caractère rythmé, tonique, par l’alternance de grands récits, d’airs accompagnés, de danses, l’intervention de petits chœurs aussi. » S’agissant des parties chorales, un chœur de solistes participe aux dates de juillet et août, à Pontoise et à Versailles en revanche les Chantres du CMBV viendront offriront le renfort d’un effectif plus fourni. Quant au rôle-titre, il sera tenu par Eugénie Lefebvre en juillet et août, par Judith Van Wanroij en octobre, en tête d’une distribution où l’on relève les noms de Chantal Santon-Jeffery, Martial Pauliat, Mathias Vidal (en octobre), Etienne Bazola, Thomas Dolié (en octobre), Matthieu Lecroart, etc.

Les Suprises © Ludo Leleu

Satisfaction du Roy
Issé eut l’heur de plaire à Louis XIV ; créé en 1697 à Fontainebleau, l’ouvrage fut redonné dès septembre 1698 à Versailles, ce qui offrit à Evrard Titon du Tillet, précieux observateur de la vie musicale de l’époque, l’occasion de noter : « Sa Majesté et toute sa Cour en furent extrêmement satisfaites ; elle le gratifia même d’une bourse de deux cents louis, en lui disant que c’étoit un commencement de lui marquer sa satisfaction, l’assurant que depuis Lully aucune Musique ne lui avoit fait tant plaisir que la sienne.»
Et Titon du Tillet de résumer l’argument d’Issé en ces termes : « On sçait que dans cet Opéra Apollon, qui est regardé comme le soleil, veut se faire aimer d’Issé, déguisé en Berger, sous le nom de Philémon, qui voyant ses désirs accomplis, se fait connoître pour Apollon, et paroît dans toute sa splendeur, dans une fête magnifique qu’il donne à Issé, qui est transportée de sa conquête. »
 
« Destouches, ajoute L.-N. Bestion de Camboulas, possède un style bien particulier, il montre un génie de la ligne mélodique, présent dès Issé et qui se retrouve plus tard dans les Eléments. Sa musique se situe dans le cours d’une évolution qui conduira à Rameau, notamment dans le travail d’orchestration avec des parties solistes de flûte, de hautbois, de basson aussi. Originalité d’Issé, son 4ème Acte est tout entier un Sommeil, genre très en vogue à l’époque, et il est fort probable que cet épisode ait beaucoup contribué à son succès. Quant au Prologue, dense et court, il s’inspire d’un des douze travaux d’Hercule : le Jardin des Hespérides. »
 
Les Eléments et les « Mysterien Kantaten »
Largement occupé par Issé, l’été des Surprises comprend deux autres programmes très tentants eux aussi. Au Festival de Sablé (le 23 août) il sera encore question de Destouches, mais pour une reprise des Eléments – avis à ceux qui n’ont pas encore eu le bonheur de savourer cette partition !
Enfin, quelques jours plus tôt (le 7 août), au Festival Bach en Combrailles, L.-N. Bestion de Camboulas et son équipe auront donné un programme « Mysterien Kantaten » qui fait écho au très beau disque paru en mai dernier chez Ambronay Editions, avec Maïlys de Villoutreys et Etienne Bazola pour les parties vocales. Conçu d’abord autour du Klag Lied de Buxtehude et du De profundis de Bruhns (la Cantate « Herr, wenn ich nur dir », BuxWV38 est aussi présente) cet enregistrement – prenante méditation la mort – comprend en outre des pièces instrumentales de Pachelbel, Buxtehude, Reincken, etc. Il constitue l’aboutissement d’un programme donné il y a quelques années au Festival d’Ambronay – fidèle partenaire des Suprises depuis leurs débuts – et trouvera toute sa place à Bach en Combrailles où, comme chacun sait, le répertoire germanique règne en maître.
 
Alain Cochard
(Entretien avec Louis-Noël Bestion de Camboulas réalisé le 7 juillet 2018)

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(1) 1 CD Ambronay Editions (AMY 046)
(2) La recréation d’Issé est le résultat d’une coproduction entre le Centre de Musique Baroque de Versailles, le Festival Baroque de Pontoise et l’Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine.
(3) Parution à la rentrée 2019
   
 
Calendrier des concerts des Surprises :
www.les-surprises.fr/agenda-concerts/

Photo © Bertrand Pichène

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