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L’Enlèvement au Sérail à l’Opéra national de Lyon - Les Deux Mondes – Compte-rendu

En septembre 2014, René Jacobs gravait Die Entführung aus dem Serail en le transformant en « Hörspiel », y incluant quantité d’effets sonores, parasitant même un air aussi sublime que « Marten alle arten » de paroles, croyant,  avec raison selon lui,  mettre les mots du théâtre parlé jusqu’où ils ne pouvaient paraître.
Wajdi Mouawad, 47 ans, fraîchement nommé directeur du Théâtre national de la Colline, aura résisté à cette tentation pour sa première mise en scène lyrique. Pourtant, durant l’ouverture, j’ai crains la logique du débordement. Il n’hésite pas à la morceler pour faire paraître le père de Belmonte – dont le discours éclairé mêlé d’autosatisfaction devant sa petite cour désigne clairement le modèle, rien moins que Frédéric II -  demandant à son fils revenu de son voyage turc, de lui narrer ses aventures. Flashback donc, d’où un texte nouveau de la plume du metteur en scène refourbi en allemand par Uli Menke, se substituant à celui de Stefani et excédant ses dimensions : on attend un peu trop la musique de Mozart ...

La turquerie de l’ouverture elle-même, où les cymbales de janissaire sont frappées par des membres du chœur à coups de maillets sur une « tête de Turc » de foire  – laissait espérer un spectacle désopilant, une loufoquerie, quelque chose d’absolument inscrit dans la nature même de ce faux singspiel écrit par un Mozart de vingt-six ans qui, alors qu’il ne lui en restait que dix à vivre, se sentait enfin libre de tout oser. Car enfin, comme l’avait compris Nikolaus Harnoncourt, L’Enlèvement est l’opéra de tous les possibles et de toutes les audaces, le troisième « coup de tonnerre » de son théâtre lyrique, douze années après Mithridate, une année après Idomeneo : opéra séria, opéra « français » (avec chœur omniprésent et ballet), maintenant opéra allemand : il ne lui restait plus qu’à inventer la « comédie musicale » moderne avec Da Ponte.
Si  Wajdi Mouawad avait suivi cette voie, les audaces de Blonde et la terreur de Constance se seraient incarnées avec un relief saisissant, comme les colères et les ardeurs de Belmonte ou les aspirations secrètes de Pedrillo auquel Mozart confie des airs quasiment princiers, de voix, de mélodies, d’élan. Il n’y avait qu’à « laisser aller ». Mais non, car ce qu’il considère d’abord est le sujet, ce sujet qui pour  Mozart n’était qu’un prétexte, ce sujet que Serge Dorny lui pensait évidement destiné.

© Stofleth

Donc, les rapports Occident-Orient. Cette réduction, aisément inspirée et excusée par l’actualité, aurait presque risqué une fausse route si le propos et la vision du Libanais avaient recherché le conflit des civilisations plutôt que la psyché des personnages. Ici rayonne le génie de son geste théâtral : le prisonnier est évidemment Selim, lorsqu’il aura pardonné quasiment en chrétien, il sera libre enfin. Bien vu mais seulement assez bien joué, car tous les chanteurs s’il ils ont compris l’enjeu, s’y conforment parfois sans toute la souplesse, les réflexes naturels que cela suppose : on n’est pas absolument acteur à ce point et dans ce contexte, à la seconde représentation d’un spectacle si exigeant, surtout confronté à un propos à la fois si complexe et si subtil. Pas de bémol donc.

Peu importe, cet Enlèvement, loin des scories du Regietehater, amoureusement accompagné par le geste subtil d’un vrai metteur en scène, se regarde avec finalement des tendresses et des connivences de pensées, de sensations, de réflexions que je n’espérais pas à son exorde. Cela n’aura pas empêché un spectateur furax de quitter la salle en martelant le sol. Qui pourra dire la cause de son exaspération ?
Se regarde mais s’entend ? Une frayeur m’aura saisi au premier air de Constance, vinaigré, pénible. Qu’était-il arrivé à Jane Archibald, colorature stratosphérique qui nous régalait de ses Zerbinette divines voici quelques années ? C’était le prix à payer pour un « Marten alle arten » où la terreur et la volonté s’affrontent avec quelque chose de clouant, dans le timbre même, qui rappelle Edda Moser. Bravo finalement. Cyrille Dubois prenait sauf erreur le rôle de Belmonte. Ah ! la longueur du souffle il connaît !, il se souvient comme si c’était hier, de ses années de maîtrise à Caen.

J’admire la véhémence, l’engagement, la technique parfaite, l’allemand sonore, mais il lui faut maîtriser l’inflexion, varier les couleurs, se servir de ses nuances piano que l’enthousiasme de la jeunesse lui fait oublier pour tout soutenir mezzo-forte : la Comédie de Lyon est un petit théâtre, qu’il en profite pour poser son souffle et rêver un peu son désir, même sa colère ou sa frustration. Bravo sans réserve à l’Osmin alerte et humain de David Steffens, on lui pardonne ses graves de baryton pour mieux admirer son timbre de basse lyrique. Bravo cent fois à la Blonde de Joanna Wydorska, époustouflante simplement, et au Pedrillo de Michael Laurenz, plus prince que valet dans le timbre et qui peut déjà lorgner sur l’emploi de son maître.

Et bravo à Stefano Montanari et à ses choristes et ses musiciens qui servent le propos de Wajdi Mouawad sans renoncer au style vif, à l’allant, à l’exécution historiquement informée que leur cycle Mozart aura consacré.

Jean-Charles Hoffelé

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Mozart : L’Enlèvement au Sérail – Lyon, Opéra, 24 juin ; prochaines représentations les 28, 30 juin, 5, 7, 9, 13, 15 juillet 2016 / www.opera-lyon.com/spectacle/opera/lenlevement-au-serail

Photo © Stofleth

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