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L'EIC et les Neue Vocalsolisten à Agora - La voix, la poésie - Compte-rendu


À la Cité de la musique, la voix traverse les époques, à l'occasion de la biennale d'art vocal qui s'est tenue, pour sa cinquième édition, du 7 au 25 juin. La voix, la poésie sont aujourd'hui – comme hier – l'un des terrains privilégiés de l'expérimentation musicale. Le Festival Agora, organisé par l'Ircam, le rappelle année après année ; on n'en donnera que deux exemples significatifs, pris parmi les grandes réussites des deux éditions précédentes : la voix spatialisée d'Opersperctive Hölderlin pour soprano, quatuor et électronique de Philippe Schoeller en 2009, les intonations langagières recomposées par l'orchestre dans Speakings de Jonathan Harvey l'an dernier.

Inscrit dans le double cadre de la biennale d'art vocal et d'Agora, ce concert de l'Ensemble intercontemporain, associé aux Neue Vocalsolisten Stuttgart, porte le triple regard de compositeurs d'aujourd'hui sur la voix ou, plus exactement sur la poésie. Détail assez étonnant : si deux seulement des trois œuvres font appel aux chanteurs, seule celle n'y recourant pas utilise les ressources informatiques de l'Ircam.

Le concert s'ouvre avec Animus Anima II, pour sept chanteurs a cappella, d'Ivan Fedele (né en 1953). Le compositeur italien propose une sorte de symphonie vocale, quatre mouvements reposant chacun sur plusieurs séries de mots puisés dans une table, un « conteneur lexical » proposé par l'écrivain Giuliano Corti. De ces combinaison lexicales naissent bien sûr des sonorités qui sont parfois le départ d'un chant, mais l'impression générale demeure celle d'une récitation monochrome, malgré le talent des Neue Vocalsolisten Stuttgart.

Il était intéressant, en conclusion de ce concert, de réentendre la Cantate n° 1 de Bruno Mantovani (né en 1974), après la création de son opéra Akhmatova en mars dernier à l'Opéra Bastille. Très dramatique mais libéré des nécessités de la représentation scénique, ce brillant cycle vocal (pour six chanteurs et petit ensemble instrumental) sur des poèmes de Rilke se fond dans en long mouvement continu, sans ces temps morts plus difficiles à éviter à l'opéra. Les transitions instrumentales entre les poèmes suffisent à créer un parcours dramaturgique d'une efficacité évidente.

Entre ces deux œuvres, comme en interlude, figurait la création d'une courte pièce de Johannes Maria Staud, prélude à un travail à venir de plus grande envergure. Bien qu'elle fasse référence au poème jusque dans son titre (Par ici !, fragment arraché au « Voyage » de Baudelaire), l’œuvre n'utilise pas la voix mais un piano électronique subtilement désaccordé (certaines notes, qui évoluent au cours de l’œuvre, sont augmentées ou diminuées d'un quart de ton).

Bénéficiant d'une sonorisation intelligente, qui mêle le son du clavier à celui de la dizaine de musiciens qui l'accompagne (le pianiste Dimitri Vassilakis et l'Ensemble intercontemporain, dirigé avec une vivacité et un sens de la couleur remarquables par Susanna Mälkki(photo), sont ici exemplaires), Par ici ! délaisse bien vite le seul aspect technique pour emmener l'auditeur dans un monde de poésie sonore, plein de faux-semblants où la musique avance, mue par une toujours imprévisible et toujours lumineuse association d'idées. Sans voix certes, mais pas sans poésie.

Jean-Guillaume Lebrun

Paris, Cité de la musique, le 17 juin 2011

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Photo : Martin Sigmund

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