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L’Egisto de Cavalli à l’Opéra Comique - Le Triomphe de Mauillon - Compte-rendu

La restitution d’époque doit-elle devenir la norme pour les recréations des opéras de l’ère baroque ?

L’Egisto de Cavalli selon Benjamin Lazar apporte une réponse en demi-teinte. Car dans un premier temps ce qui s’impose au jeune metteur en scène c’est d’abord son art propre - jeu d’acteur tout en nuance, tout juste perceptible dans l’enclos mesuré de la Salle Favart, goût d’une certaine ritualisation, recherche de l’effet poétique plutôt que dramatique – avant même que les codes d’un genre pas encore totalement retrouvés, comme cette gestique baroque, abandonnée rapidement par les chanteurs mais qui aura eu le temps d’effacer quasiment tous les caractères sinon celui du rôle-titre.

Tout le spectacle crie que cette quadrature est impossible, qu’il faudrait plutôt que Lazar reste lui-même absolument et ne retire des codes et des moyens de l’époque qu’un surcroît de poésie. On a la démonstration de cette possibilité avec l’Hippolyte et Aricie de Rameau qu’Ivan A. Alexandre a monté pour le Capitole et que les Parisiens pourront découvrir à Garnier en juin.

Pour Egisto s’y ajoute une certaine incompréhension du théâtre vénitien et de ses strates de sens contradictoires. Là où Amour ne cesse de torturer les cœurs, le livret de Giovanni Faustini met sans cesse des doubles sens ironiques, crée des situations qui devraient être désopilantes, fourmillantes de coups de théâtre, le tout enveloppé dans une bonne dose d’érotisme. Mais non, on aura durant les deux premiers actes qu’une immense plainte pastorale, superbement dite à l’orchestre, pourtant pas assez varié, du Poème Harmonique, plus diversement portée par les chanteurs. Ah, la douceur des peines, la langueur des plaisirs, mais du rythme, de la vie, de l’humour, de l’incorrect non. On n’est pas à Venise, on est à Versailles comme d’ailleurs  l’indique clairement la Dema de Serge Goubioud, si Grand Siècle français par le costume, alors même que ses moqueries et ses mises en demeure de céder à la luxure sont du pur théâtre vénitien.

Avec cela le décor joli plutôt qu’éloquent, vaguement pratique parce qu’il tourne - une tour effondrée à son second niveau qui hésite entre Venise et Hubert-Robert - peine tout de même à accueillir les voyages d’Amour et d’Egisto aux enfers. On s’en lasse vite, d’autant que Lazar y retrouve son péché mignon d’une scène encombrée jusqu’à l’illisible, où tout se tasse, où l’expression s’oppresse. On se coulisse, on se tord, on y arrive à peine, on monte, on descend, on se conforme au lieu alors que les lieux devraient participer de l’action (le mythe pourtant si réel du décor actif, principe de base de la machinerie dramatique baroque !) l’exiguïté n’est décidément pas une vertu théâtrale.

Quand à l’éclairage aux bougies, déficient – on annonce trois cents chandelles, il en faudrait mille – il donne à l’ensemble un côté veillée de Noël assez fade, outre qu’on n’y voit rien et que cela a incité les deux dames dont j’étais flanqué à un immédiat et profond sommeil. Bémol supplémentaire, un spectacle si discret, si subtil pour l’œil ne pourrait se goûter qu’en faisant le noir complet de la salle. Mais non, les méchants indicateurs de sortie de secours continuent de flamboyer de plus belle.

Morphée n’avait plus sa place au III, Marc Mauillon s’en chargeait. Ah, sa folie, grand moment ! Il éclate les cadres, enfonce le décor, défait la scène, voila Cavalli enfin, voila l’opéra, et on se fiche comme d’une guigne du style. Car au fond cet Egisto est moderne et nous parlerait directement sans peine si on voulait bien le débarrasser des encombrements d’une pseudo-philologie.

Tous les hommes sont parfaits ; le Lidio finement joué et admirablement chanté de Dahlin, enfin dans sa tessiture, le très tendre et fragile Hipparco de Cyril Auvity, Serge Goubioud assez irrésistible malgré son raide costume.

Mais mon Dieu ! pourquoi les avoir affublés de deux prime donne à faire peur – vocalement en tous cas. Le maigre organe de Claire Lefilliâtre sonne comme la mauvaise caricature de la regrettée Montserrat Figueras, et que fait ici Isabelle Druet, égarée, vinaigrée, massacrant son sublime lamento à force de le détimbrer pour faire baroque ? Deux seringues face à trois étoiles, le combat est inégal. Dumestre aurait trouvé mieux dans sa compagnie de chant, si il y avait regardé de plus près. Le joli Amour d’Ana Quintans, la beauté de Caroline Meng, la Semele de Mariana Flores, la Fedra et la Venus de Mélodie Ruvio affichent d’autres moyens.

Le rideau tombe, la salle fait un triomphe, on rentre chez nous et vite l’on se remet l’enregistrement chamarré que René Jacobs a réalisé du Giasone (1). Ce leste, ces récits piquants, ces airs à pleurer, cet orchestre melliflu nous rassurent. Oui Cavalli est bien un maître du théâtre et en de telles mains l’Egisto serait certainement un vrai opéra.

Jean-Charles Hoffelé

(1) Paru chez Harmonia Mundi.

F. Cavalli : Egisto – Paris, Opéra Comique, le 1e février, puis les 3, 6, 8 et 9 février 2012. www.opera-comique.com

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Photo : Philippe Parent
 

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