Journal

L’Ecole Normale de Musique-Alfred Cortot rend hommage à Albert Roussel – Une heureuse exception – Compte-rendu

5 avril 2019 : 150e anniversaire de la naissance d’une des plus grandes figures de la musique française du 20e siècle ... et, une fois de plus, un bel exemple de notre masochisme national. Pas une symphonie, pas de Festin de l’araignée, pas de Bacchus et Ariane ou – soyons totalement déraisonnable – d’Aneas au programme d’un de nos orchestres parisiens (1). On peut pourtant leur faire pleine confiance pour s’auto-décerner des brevets de mahlérisme ; on pourra leur faire toute confiance pour l’anniversaire Beethoven l’an prochain – et ils auront mille fois raison de le fêter le grand Ludwig, avec originalité espérons-le ...  – mais pour Roussel, on le constate avec un franc agacement, rien !
Rien, hormis l'heureuse exception à l’Ecole Normale de Musique-Alfred Cortot (menée de main de maître depuis 2013 par Françoise Noël-Marquis) qui a consacré toute la fin de la journée du 5 avril à l'auteur de Padmâvati. Après la présentation d’une exposition ponctuelle, de taille modeste mais riche de document importants, le public a pu assister à une conférence de Damien Top – rousselien fervent et créateur du Centre International Albert Roussel – qui, en prenant pour fil conducteur la production de mélodies du compositeur, a offert une excellente introduction à son univers poétique.
 
Albert Roussel © Centre international Albert Roussel

Ce prélude aura permis de mieux goûter le concert donné dans la foulée par des élèves de l’Ecole Normale, avec Michel Favory, sociétaire honoraire de la Comédie Française, en récitant. Un poème d’Henri de Régnier – auteur cher au cœur de Roussel – est pour l’occasion mis en exergue de chacun des trois mouvements de la Sérénade pour flûte, harpe et trio à cordes dont les excellents Giulia-Deniz Unel (flûte), Yeona Pi (harpe), Alban Marceau (violon), Ayako Tahara (alto) et Sin hye Lee (violoncelle) offrent une interprétation idéale de finesse et de sensibilité. Ecrit en 1925 pour le Quintette Instrumental de Paris (du flûtiste René Le Roy), l’Opus 30 exige un sens du détail, un pas ailé, une intelligence des timbres que les jeunes interprètes possèdent au plus haut point. Excellente idée que d’avoir placé Invocation ( « Pour que la nuit soit douce, il faudra que les roses... ») – texte que Roussel a d’ailleurs mis en musique dans ses Quatre Poèmes op. 8 – avant l’Andante médian, sorte de nocturne dont les interprètes soignent l’atmosphère tout à la fois rêveuse et mystérieuse. Moment magique ...

© concertclassic

Augmenté d’Emiliano Mendoza (clarinette), David Somoza, (cor ; un élève du CRR de Paris), Waka Adame (violon), Venancio Rodrigues (contrebasse) et Mitsumi Okamoto (harpe), l’ensemble instrumental, placé sous la direction de Daniel Kawka (photo, 2), s’attaque ensuite au Marchand de sable qui passe, une musique de scène de 1908 sur un texte de Georges Jean-Aubry pour trois comédiens (Lui, Elle, Le marchand de sable) et orchestre. C’est n’est pas la version originale de la partition que l’on entend, mais la suite d’orchestre entrecoupée du texte du seul Marchand de sable  – « l’errant à qui tout commande d’aimer » ; « marchand de rêve, jongleur de l’impossible » – dit avec une profonde humanité par M. Favory. Daniel Kawka parvient à éveiller cette onirique féerie sonore avec une délicatesse, un frémissement merveilleux des couleurs qui forcent d’autant plus l’admiration que les musiciens n’ont disposé que de peu de temps pour la préparation du concert.

Rares sont donc ceux qui songent à Roussel cette année, mais il en est tout de même : on se réjouit de pouvoir découvrir, du 6 au 13 juin prochains à l’Athénée, l’impertinent Testament de la tante Caroline (1932-1933), opéra-bouffe sur un livret de Nino, dans la mise en scène de Pascal Neyron et sous la direction de Dylan Corlay à la tête des irremplaçables Frivolités Parisiennes. (3)
Quant à une intégrale des symphonies par l’un des grands orchestres parisiens, on est semble-t-il prié d’attendre – le bicentenaire de 2037, de 2069 ?

Côté disque, félicitons-nous en revanche de la sortie toute récente chez Erato d'un indispensable coffret Roussel de 11 CD comprenant entre autres les précieux enregistrements de Jean Martinon (Bacchus et Ariane, Le Festin de l'araignée, Petite Suite op. 39, Aeneas, Symphonie n° 2) et le Padmâvati sous la baguette de Michel Plasson.(4)

Alain Cochard

 Paris, Ecole Normale de Musique-Alfred Cortot (salle Cortot), 5 avril 2019

(1) Si les formation de Radio France ont été bien indifférentes à l’anniversaire Roussel, sachons gré à France Musique d’une série "Arabesques" consacrée au compositeur courant avril // www.francemusique.fr/emissions/arabesques/albert-roussel-compositeur-150-ans-de-sa-naissance-4-5-70856

(2) Fin connaisseur de l’auteur de Bacchus et Ariane, Daniel Kawka avait on s’en souvient pris part à l’excellent « Albert Roussel » publié en 1987 l’occasion du cinquantenaire de la mort du musicien, chez Actes Sud-Papiers, avec le concours de l’Ecole Normale de Musique et de la Sacem. Un ouvrage très complet qui mériterait un réédition ...

(3) Le Testament de la tante Caroline au Théâtre de l'Athénée  : www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/le_testament_de_la_tante_caroline.htm

(4) "Albert Roussel Edition" (11 CD Erato)

Partager par emailImprimer

Derniers articles