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Le Vaisseau Fantôme à l’Opéra de Lyon - Senta la Folle - Compte-rendu

Fidèle jusqu’au bout à elle-même ? Senta croyant encore à l’image vivante du portrait qu’elle contemple depuis son enfance s’engloutit dans les flots écumants, mais l’océan la rejette, veuve éplorée de ses propres illusions qui vient exposer au public son éternel désarroi. Le rideau tombe sur les ultimes accords du thème de la rédemption qui, devant la liberté prise par Alex Ollé, sonnent presque irréels.

Ce n’est pas la première fois qu’un metteur en scène conçoit le Vaisseau d’après Senta, mais Ollé en tire toutes les conséquences en modifiant la fin de l’opéra. Cela nous agace mais on ne peut qu’admettre la cohérence d’un propos dont l’ouverture  nous avait prévenu : Kazushi Ono a choisi la version 1841 qui se conclue non par l’hymne radieux de la rédemption mais  par trois accords abrupts enchaînant sur la tempête ; cependant il a préféré le finale de la version révisée soulignant un hiatus assez piquant avec le choix de La Fura dels Baus. Plus une interrogation qu’une inconséquence.

Il se trouve qu’on sortait tout juste du visionnage de la reprise du spectacle de Jan Phillip Gloger pour Bayreuth, lecture déconnectée, ne procédant que par mépris, faisant tout à l’ironie, Daland et le Pilote dans un canot, etc. Au moins les Catalans sont dans le sujet et y restent. Océan déchaîné et incarné comme on ne se souvient de l’avoir jamais vu,  et qui rappelle que Wagner, s’il écrivit tranquillement son Vaisseau à  Meudon, en eut la révélation lors d’une traversée épique le ramenant de Riga à Londres en juillet 1839. Immense proue  menaçant la salle à gauche, éclairs, tonnerre à l’orchestre, on y est !

Tout le spectacle coule dans le même sens, en tout fidèle à Wagner, la réinterprétation centrale de l’illusion de Senta se faisant par touches successives et subtiles. Que le Hollandais paraisse de la cale du vaisseau même de Daland qu’il hante, et son équipage fantôme,  comme autant de zombies, se répand, libéré, à l’assaut de la coque, miracle de la vidéo.

Tout ce qui se donne à voir fascine, pli sur pli dans la musique de Wagner, sinon Erik, chasseur affublé d’une kalachnikov. Ce qui s’entend charme moins. Magdalena Anna Hofmann, enfin absolument soprano, chante éperdument une Senta qui serait de timbre idéale sinon que la voix lutte ça et là contre l’ambitus, même constat d’ailleurs pour son Hollandais. Simon Neal a le timbre exact du mort vivant,  baryton sombre, voix creusée, qui semble se souvenir du mordant désespéré qu’y mettait Hermann Uhde. Mais il n’est juste que par éclipse, ce qui au regard de la puissance de son incarnation, jusque dans l’extrême lassitude, ne nous gêne pas plus que cela.

Falk Struckmann, parfait pour un Daland sans arrière-plan, qui ne voit rien et ne comprend rien, reste ici un modèle. Tomislav Muzek déploie son Erik avec un élan incontestable que contrarie son physique, Eve-Maud Hubeaux chante magnifiquement Mary, ça et là Luc Robert s’échoue sur le Pilote et parfois lui donne des ailes. Kazushi Ono dirige droit et sobre un orchestre sans faille. Mais le vrai héros de la soirée c’est le chœur, ardent, mordant, toujours d’une justesse absolue, envahissant et portant tout le Troisième acte avec une éloquence sciante. Bravo !

Jean-Charles Hoffelé
 
Richard Wagner : Le Vaisseau Fantôme - Lyon Opéra, le 13 octobre. Prochaines représentations : 15, 17,19, 21 & 22 octobre 2014.

Photo © Jean-Louis Fernandez

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