Journal

Le Trio sans Ombre aux Mardis musicaux de Saint-Roch – Style et ferveur – Compte-rendu

 Trop souvent éclipsé par le quatuor, intimidante formation phare de la musique de chambre, le trio à cordes n'en revendique pas moins un opulent répertoire, empreint d'une part de mystère tant il reste méconnu du grand public. Un équilibre instrumental et musical foncièrement original et différent de celui du quatuor, « démocratique » et valorisant pour chaque membre de la formation, sans violon dominant ni relégation au rang d'accompagnateur, de faire-valoir ou de soutien harmonique, laissant violon, alto et violoncelle s'épanouir librement et pleinement en solistes accomplis : un univers à part entière. Sans doute faut-il courage et audace pour créer un trio à cordes. Les musiciennes du Trio sans Ombre tentent l'aventure, guidées par cette stimulante motivation : contribuer à la découverte d'un répertoire infiniment moins fréquenté.
 
Un trio en l'occurrence constitué il y a quelques mois à peine et entendu lors de son deuxième concert. Il fallait le savoir pour le croire, tant le degré de puissant engagement ne laissait de formidablement impressionner. Ce qui sans doute s'explique par le triple parcours soliste, chambriste et orchestral des musiciennes, dont la diversité même des origines contribue à la richesse de l'ensemble : la violoniste Maria Ciszewska, née en Pologne dans une famille de musiciens, formée en Allemagne et en Angleterre, auprès notamment du Trio Abegg et des Quatuor Artemis et Amadeus ; Parisienne depuis 2003 et violoniste à l'Orchestre Lamoureux, elle joue aussi à l'Orchestre Symphonique d'Orléans et dans un groupe de jazz : La Trace du Géant (1) ainsi qu'avec la pianiste Eva-Maria Rauter : l'âme lyrique et sensible du Trio, l'émotion sur le fil de l'archet – mais pour une incontestable plénitude sonore passant sans coup férir de la plus fragile intimité à l'héroïsme romantique le plus sobrement ardent. Lui répondent sur un pied d'égalité (on ne saurait trop insister !) l'altiste Claire Dumas, originaire de Montauban, formée à Bordeaux, Rueil et Paris, laquelle se produit au sein de diverses formations, au premier rang desquelles l'Orchestre Colonne : un grain si particulier que jamais la partie d'alto ne risque le moindre effacement en regard de ses deux imposants voisins, et la violoncelliste Marta Bannenberg : née en Bulgarie, elle s'est produite après ses études avec divers orchestres dans son pays natal et en Allemagne, avant de s'installer à Paris il y a une dizaine d'années, se consacrant désormais principalement à la musique de chambre – aplomb et justesse incarnées font d'elle le pilier idéal de la formation, mais rehaussés d'élans poétiques et d'une flamme rythmique enthousiasmants.
 
Dans la lumineuse fraîcheur (par un midi caniculaire) de la chapelle de la Vierge, somptueuse extension sur plan elliptique signée Jules Hardouin-Mansart (1709) faisant transition, perpendiculairement, entre chœur et chapelle d'axe de l'église Saint-Roch à Paris, le Trio sans Ombre proposait donc, dans le cadre des Mardis musicaux de Saint-Roch et pour refermer la saison 2014-2015 (2), un programme constitué de deux chefs-d'œuvre absolus de jeunesse : le Trio op. 9 n°1 (1796-1798) de Beethoven et l'éblouissante Sérénade op. 10 (1902) d'Ernö [Ernst von] Dohnányi, avec notamment une élégiaque section dédiée à l'alto. Autant de spontanéité (Beethoven n'avait pas trente ans, Dohnányi tout juste vingt-cinq) que de souveraine maturité, toutes deux restituées avec discernement et sérénité par un Trio sans Ombre aussi pur de lignes et stylé que d'une réelle et exaltante ferveur. Que ne donnerait-on pour réentendre au disque ce même couplage dans cette interprétation, superbement secondée par la noble acoustique du lieu ! – un tel concert aurait été à la hauteur d'un témoignage sur le vif de la meilleure veine. On souhaite à la formation de trouver un label discographique digne d'elle et, entre-temps, on retiendra avec bonheur ce nom : le Trio sans Ombre.
 
Michel Roubinet
 
Paris, église Saint-Roch, 30 juin 2015
 
(1) http://www.florentcorbou.com/#!ensemble-trace-du-geant/czbw
 
(2) La saison 2015-2016 débutera le 6 octobre avec un récital d'orgue de Françoise Levéchin-Gangloff
http://www.paroissesaintroch.fr/articles.php?lng=fr&pg=67&prt=1
 
Photo © DR (de gauche à droite : Maria Ciszewska, Claire Dumas et Marta Bannenberg)

Partager par emailImprimer

Derniers articles