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​Le Tour d’écrou par les élèves du CNSMDP (Streaming) – Sobrement gothique – Compte-rendu

Chaque année, peu avant le printemps, les élèves de classe supérieure du CNSMDP se produisent dans un spectacle lyrique, une œuvre intégrale, mise en scène, avec orchestre. C’est l’occasion de découvrir quelques-uns des talents de demain, de rencontrer ceux et celles dont on parlera bientôt. En 2013, on avait ainsi pu remarquer Marie-Laure Garnier dans Reigen de Boesmans, en 2014, Enguerrand de Hys et Eva Zaïcik dans Mitridate ou Edwin Fardini dans Il Mondo della luna, en 2019.

Cette année – par le biais d’une captation visible en streaming, forcément – c’est Le Tour d’écrou de Benjamin Britten qui a été choisi : œuvre relativement brève, aux effectifs légers, sans chœur, et qui se prête donc bien à un spectacle de futurs professionnels. On remarque d’ailleurs que le pauvre Britten doit, à Paris, se contenter depuis plusieurs années de ces productions d’élèves : à l’Opéra de Paris, on n’a pas guère programmé ses œuvres que sous cette forme : Owen Wingrave en 2016, Le Viol de Lucrèce en 2007, 2014, et il était prévu qu’on remette ça en mai 2021 (pour mémoire, la grande salle de Bastille n’a plus accueilli aucune œuvre de Britten depuis la dernière reprise de Billy Budd en 2010).
 

© Ferrante Ferranti

A l’opéra, Brigitte Jaques-Wajeman a jusqu’ici surtout travaillé pour le Capitole de Toulouse : Don Giovanni en 2005, 2007 et 2013, Ernani en 2017, mais il semble que ses tout premiers pas dans le domaine lyrique remontent à 1979 avec Faisons-un opéra de … Britten. C’est une vision très sobre qu’elle propose du Tour d’écrou, dans un décor réduit à l’essentiel, qui évite tant le carton-pâte « faux château » qu’un enfermement trop immédiatement oppressif : un pan de mur percé d’une fenêtre à jardin, un muret incliné à cour, devant un grand cyclorama qui permet de passer de la lumière clair du grand jour aux ténèbres propices à l’apparition de spectres. Seul quelques meubles viendront, selon les besoins de l’action, compléter la relative nudité du plateau. Les costumes blancs de l’héroïne et des enfants (très estivants de Tchekhov ou Gorki) situent l’action vers 1900, la touche gothique des deux fantômes étant justement dosée pour les rendre inquiétants sans basculer dans le grotesque. Avec limpidité et sans grandiloquence, la mise en scène épouse les contours de l’action en reposant avant tout sur le jeu sensible des acteurs, le seul instant (à peine) scabreux étant celui où le petit Miles disparaît sous un drap avec Peter Quint.
 

© Ferrante Ferranti

Deux tout jeunes chanteurs issus du CRR de Paris tiennent les rôles des enfants. Aux côtés de sa « grande sœur » Clélia Horvat, Robinson Hallensleben est un Miles innocent à souhait, sorte de petit David Copperfield à qui l’on donnerait le bon dieu sans confession. Bien entendu, le rôle de Mrs Grose, « vieille femme ignorante » comme elle le dit elle-même, échoit à une chanteuse qui est très loin d’avoir l’âge du rôle : Lucie Peyramaure lui prête un beau timbre de mezzo qui, peut-être mieux que si l’intendante était chantée par une artiste en fin de carrière, restitue tout leur charme à ses duos avec l’héroïne. Clarisse Dalles a bien la douceur et la fragilité qu’on attend de la gouvernante ; l’aigu, d’abord un peu serré, s’épanouit heureusement au fil de la représentation. Remarquée récemment dans un petit rôle soliste de la Passion selon saint Marc de Michaël Levinas à la Philharmonie de Paris, Parveen Savart est une Miss Jessel vocalement opulente. Contrairement à la pratique en vigueur depuis la création de l’œuvre en 1954, les deux rôles de ténor sont confiés à deux chanteurs distincts : pour le Prologue, Thomas Ricart distille un discours aux inflexions très travaillées, tandis qu’en Peter Quint, Léo Vermot-Desroches livre l’incarnation la plus impressionnante de ce spectacle, et l’on apprécie d’entendre le personnage interprété par une voix un peu plus centrale que les habituels ténors aigus d’école britannique. Dans la fosse, Alexander Briger excelle à mettre en valeur la dimension chambriste de l’orchestration britténienne, la captation permettant de saisir les subtilités de chaque interlude entre les scènes.

Laurent Bury

 
 
Britten : Le Tour d’écrou – Paris, CNSMDP ( Salle R. Pflimlin), vendredi 12 mars 2021. Disponible en replay sur : https://live.philharmoniedeparis.fr/concert/1122144/britten-le-tour-d-ecrou-orchestre-et-eleves-du-conservatoire-de.html?_ga=2.188168491.209843840.1615638984-1004923370.1615638983
 
Photos © Ferrante Ferranti
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