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Le Testament de la tante Caroline d’Albert Roussel par les Frivolités Parisiennes à l’Athénée – La faute de Béatrice – Compte-rendu

Du communiste conservateur au cardinal, en passant par le président du tribunal, Caroline s’est beaucoup donnée durant sa longue et galante existence... Elle a beaucoup amassé aussi, au coffre et sur son compte en banque. Les meilleures choses ont une fin. A peine la veilleuse soufflée, les héritières potentielles débarquent, telles des buses fondant sur leur proie. Trois nièces, Noémie et Christine, toutes deux en couple – sans enfant –, et Béatrice, vieille fille (enfin ...) bigote qui, on le découvrira plus tard, a fauté dans sa jeunesse avec un pêcheur de sardines breton et a vite abandonné sa progéniture, un certain Noël – le chauffeur de Caroline, comme par hasard ! Maître Corbeau, notaire, ouvre le testament : l’héritage ira ... au premier fils né d’une des trois nièces. Un délai d’un an est laissé. Passé celui-ci, l’Armée du Salut récupèrera le pactole. Panique à bord, vols de bébés dans la clinique flambant neuve du docteur Patogène, l’ancien médecin de Caroline, et ... révélation à point nommé des origines de Noël ! Ainsi se résume l’argument du livret que Nino, pseudonyme de Michel Veber (1896-1965), a fourni à Albert Roussel pour son unique incursion dans le domaine de l’opéra-bouffe. Unique mais parfaitement réussie, comme on peut s’en convaincre avec la production des Frivolités Parisiennes.
 
© Pierre Michel

Plutôt que de servir un xème Verdi ou Mozart, l’Opéra de Paris aurait pu envisager de nous offrir Padmâvatî en cette année du 150e anniversaire de la naissance d’un des plus grands compositeurs français du XXe siècle mais ... rien ! L’Athénée, dont la créativité et l’audace ne sont plus à dire, n’est en revanche pas passé à côté de l’occasion et en a profité pour programmer le rarissime Testament de la tante Caroline (1932-1933). Après l’excellent The importance of being earnest de G. Barry (m.e.s. Julien Chavaz) le mois dernier, la maison de Louis Jouvet termine la saison de jubilatoire manière avec un petit bijou comique idéalement adapté au format de sa salle.

Les Frivolités Parisiennes comptent beaucoup de succès à leur actif depuis 2013 (année de départ, marquée par la déjà très prometteuse Ambassadrice d’Auber à l’Alhambra). Ce Testament de la tante Caroline en constitue un de plus, et parmi les plus aboutis ! Pascal Neyron (déjà auteur d’un formidable Gosse de riche d’Yvain en 2017 avec les « Frivos ») signe une mise en scène vivante, très dynamique mais jamais brouillonne, dans une scénographie bien trouvée de Caroline Ginet. Ajoutons que le spectacle bénéficie des précieux conseils musicaux de Christophe Mirambeau et Pierre Girod.

Une partition qui « s’efforce simplement d’être claire, agréable à entendre, accessible à tous » : le commentaire modeste de Roussel cache une composition concise et efficace (trois actes en à peine une heure et demie sans entracte). Après un préambule funéraire imaginé par le metteur en scène, avec descente du cercueil en fosse et homélie confiée au chef Dylan Corlay, l’ouvrage débute et la mécanique comique se met en branle.

© Pierre Michel

Le Testament requiert un irréprochable plateau de chanteurs comédiens : il est réuni ! Commençons par celle qui détient la clef du dénouement : Béatrice ; Marie Lenormand campe un personnage tout simplement impayable et partant offre une nouvelle illustration de son protéiforme talent scénique et vocal (1). Nullement en reste, Marion Gomar (Christine) et Lucie Komitès (Noémie) tiennent leur rôles de la plus pittoresque façon (bravo à Sabine Schlemmer pour les costumes !), avec, respectivement Charles Mesrine et Aurélien Gasse en croquignolesques maris (Ferdinand et Jobard). Imper mastic et clope vissée au coin du bec, Till Fechner compose un parfait Maître Corbeau, façon homme de loi blasé, intraitable sur les procédures. On ne résiste pas non plus au Patogène de Romain Dayez, au Noël de Fabien Hyon (on connaissait le ténor dans la mélodie, où il excelle ; il affirme ici un solide tempérament théâtral) ni, enfin, à la piquante Lucine de Marie Perbost. (2)

Jamais de concession sur la partie orchestrale avec les Frivolités Parisiennes. Tous les instrumentistes (parmi lesquels figurent Mathieu Franot, clarinette, et Benjamin El Arbi, basson, les fondateurs et co-directeurs artistiques des « Frivos ») donnent le meilleur sous la direction allante et fouillée de Dylan Corlay, continûment attentif aux pincées de piment harmonique et aux trouvailles instrumentales d’un Roussel inattendu et diablement séduisant.

Encore trois représentations les 11, 12 et 13 juin. Pas un instant à perdre ; les dernières places seront à coup sûr chèrement disputées. Au cas où vous échoueriez, notez que le spectacle sera repris à Compiègne et Rungis au mois de novembre.
Que l’on aimerait que les caméras ou, à tout le moins, les micros immortalisent ce Testament ...
 
Alain Cochard

(1) On peut découvrir un autre aspect de l’art de Marie Lenormand avec – il vient de sortir – le beau disque « Ravel l’exotique » de l’Ensemble Musique Nigella (dir. Takénori Nemoto), au côté duquel la mezzo interprète Shéhérazade et les Trois Poèmes de Mallarmé (Klarthe / K083) 

(2) Un piquant et une compréhension parfaite du répertoire léger dont atteste par ailleurs un délicieux récital « Une jeunesse à Paris » (Poulenc, Debussy, Weill, Hervé, J-Kosma, Delettre, Dihau, Hahn, Serpette, Offenbach, Messager et Lecoq) avec les Solistes des Frivolités Parisiennes, Joséphine Ambroselli (piano) et Paco Garcia (ténor), paru récemment dans la belle série Harmonia Nova d’Harmonia Mundi (HMN 916112)
 
Roussel : Le Testament de la tante Caroline – Paris, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 7 juin ; prochaines représentations les 11(19h) 12 & 13 (20h) juin 2019 // http://www.concertclassic.com/concert/le-testament-de-la-tante-caroline
Reprises le 7 novembre au Théâtre Impérial de Compiègne et le 21 novembre au Théâtre de Rungis

Photo © Pierre Michel

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