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Le Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi au Théâtre des Champs-Élysées - Fringant retour - Compte-rendu

Pour l’occasion des 450 ans de la naissance de Monteverdi, le Théâtre des Champs-Élysées se donne à Il Ritorno d’Ulisse in patria. L’opéra bénéficie sur le papier d’une distribution vocale de premier choix, dont l’impressionnante énumération des noms confine presque à l’idéal dans ce répertoire : Katherine Watson, Kresimir Spicer, Anne-Catherine Gillet, Isabelle Druet, Jean Teitgen, Mathias Vidal, Emiliano Gonzalez Toro ou Élodie Méchain (déclarée souffrante, mais d’une voix sans souffrance).
 
Aucun ne manque à sa réputation, dans une juste adéquation et transmission de leurs rôles impartis. Ce qui se fait certainement de mieux pour le répertoire baroque, et parfaitement accompli dans toutes ses promesses. S’ajoute Rolando Villazón, tête d’affiche si l’on peut dire pour le rôle-titre. Le ténor très attendu, absent depuis une bonne décennie des scènes parisiennes, effectue son grand retour. Et il ne déçoit pas. L’ambitus restreint des récitatifs et ritournelles de la facture montéverdienne, sans l’éclat d’aigus périlleux, convient à merveille à sa voix d’une technique assurée et d’une expression charismatique. Une manière de reconversion réussie, parmi la déclamation baroqueuse, pour ce chanteur ayant fait la carrière glorieuse que l’on sait dans les héroïques rôles belcantistes ou verdiens.
 
À ses côtés, Magdalena Kožená, elle aussi plus habituée du grand répertoire lyrique du XIXe siècle, campe une Pénélope ardente, avec certains accents rappelant la Desdemone verdienne, ayant toutefois tendance à s’émousser (mais ainsi le veut ce rôle éprouvant de tragédienne douloureuse). Il y aurait aussi quelque chant fier inattendu, comme chez le vaillant ténor Jörg Schneider, irrésistible Irus boulimique, ou la basse impétueuse Callum Thorbe (Le Temps/Antinoüs). Un sans faute !

© Vincent Pontet
 
Pour mener tout ce beau monde, Emmanuelle Haïm ne manque pas de conviction, conduisant de sa battue nerveuse un Concert d’Astrée des beaux jours. À noter le choix de la version, forcément fidèle à la seule partition existante (une copie, qui n’est pas de la main de Monteverdi, sachant qu’on ne sait quelle part de la musique lui revient dans un vraisemblable travail collectif sous sa direction). Une fidélité qui ne va pas sans quelques coupures, mais suivant les usages du temps ainsi que l’état incertain de l’œuvre telle qu’elle nous est parvenue (une seule partition, mais neuf livrets différents !). Pour une durée tout de même de près de trois heures trente de représentation, qui aligne à répétitions récitatifs et monologues assez interchangeables sur fond de continuo, parsemés de rares et brèves ritournelles convenues ou à l’occasion soutenues d’une belle inspiration. Mais, une fois encore, quelle est la part réelle du musicien natif de Crémone ?...
 
Il a fallu aussi faire d’autres choix, devant une partition où seules figurent la ligne de chant, la basse continue et bien peu d’indications instrumentales. Emmanuelle Haïm a opté, à juste raison, pour une conformité aux critères d’époque dans l’Italie septentrionale, mais étoffée (vingt instrumentistes) par rapport à l’effectif réduit (cinq ou six instrumentistes) de la création en 1640 dans un petit théâtre vénitien. Et ainsi mieux en relation avec la vaste salle du Théâtre des Champs-Élysées. Choix judicieux à tous égards !
 
La mise en scène de Mariame Clément ne verse pas non plus dans la reconstitution historique. C’est le moins que l’on puisse dire ! Ce serait plutôt une relecture actuelle, divertissante, façon bande dessinée, avec des personnages caricaturés, au trait parfois forcé mais qui maintient un intérêt que le livret pouvait faire attendre. Un simple décor, de vestibule plus ou moins antique (puisque l’action est celle de L’Odyssée d’Homère), découpé toutefois d’un cadre en hauteur se prêtant à un décorum de bistrot où s’ébattent entre verres et bouteilles les dieux de l’Olympe, et le tour est joué ! L’effet se révèle parfois insistant, avec par exemple des irruptions d’images trop connotées de fast-food, tout en laissant l’action se poursuivre sans temps mort.
 
Cet opéra d’un Monteverdi non formellement certifié, mais dont le seul renom a permis l’inscription tardive et récente au répertoire, à partir des années 1970 et de la vague déferlante du mouvement baroqueux, n’en reste pas moins rare. En raison des doutes susmentionnés, mais aussi d’une distribution vocale pléthorique (19 rôles !), constamment mise à contribution. Un retour ici arrivé à bonne destination.
 
Pierre-René Serna

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Monteverdi : Le Retour d’Ulysse - Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 3 mars ; prochaines représentations : 6, 9 et 13 mars 2017 / www.theatrechampselysees.fr/saison/opera-mis-en-scene/le-retour-d-ulysse-dans-sa-patrie

Reprise à l'Opéra de Dijon les 31 mars et 2 avril : www.opera-dijon.fr/fr/spectacle/le-retour-d-ulysse-dans-sa-patrie/469

Photo © Vincent Pontet
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