Journal

Le Quatuor Manfred et Xavier Phillips au Festival George Onslow du Palazzetto Bru Zane – Symphonies de chambre – Compte-rendu

Lancé le 11 avril, le Festival George Onslow du Palazzetto Bru Zane de Venise se poursuit jusqu’au 21 mai. Une manifestation un peu à part dans l’histoire, certes courte encore mais ô combien riche déjà, d’une institution qui se dédie à la redécouverte du patrimoine français, de la fin du XVIIIe au début du XXe siècle. « Pour la première fois, note Alexandre Dratwicki (Directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane), nous consacrons un festival à un compositeur qui a été régulièrement programmé depuis les débuts du Palazzetto. Depuis 2009 nous avons donné des œuvres d’Onslow tous les ans, parallèlement à celles d’autres auteurs sur lesquels nous mettions l’accent (Dubois, Gouvy, David …). A chaque fois, nous avons pu constater que la musique d’Onslow fait mouche. Le cycle que nous lui consacrons cette année était un peu une nécessité. »
 
Il aura permis aux auditeurs de se convaincre un fois de plus de la richesse d’inspiration d’un auteur à cheval sur deux époques (1784-1853). « L’un des plus belles gloires musicales de la France », disait Berlioz de celui dont l’abondante production (36 quatuors et 34 quintettes, pour se limiter ces deux catégories…) attend dans la très grande majorité des cas d’être redécouverte. Le célèbre Quintette à cordes « de la Balle » ou « L’accident de chasse » op. 38 est certes une partition admirable et justement célèbre, mais ne saurait résumer Onslow.
 
Jamais enregistré et joué par la dernière fois (1) à une date sans doute bien plus proche du moment de sa composition (1847-1848) que de notre époque, le Quintette à deux violoncelles en la majeur op. 75 qui ouvrait le concert réunissant le Quatuor Manfred et Xavier Phillips avait de quoi aiguiser la curiosité. Œuvre tardive d’un auteur dans la plénitude de son art, l’Opus 75 n’est pas aussi facile d’accès que la musique des précoces Quatuors op. 8  ou 10 (dont un nouveau CD du Quatuor Ruggieri offre trois exemples) (2), mais que d’art, quelle profusion d’idées - maîtrisées ! -  tout au long de ses quatre mouvements. Dès les premières mesures de l’Allegro grazioso, les interprètes soulignent l’ampleur du discours d’une partition qui s'apparente à une symphonie de chambre. Onslow sait tirer parti du potentiel expressif des cinq instruments, leurs échanges contribuent à un grand relief, là comme dans le Scherzo, animé par un dialogue très serré et intense, autour d’un trio plus détendu. Le lyrisme, mais aussi la vigueur - la véhémence parfois même - distinguent le superbe Andante sostenuto que les Manfred et Xavier Phillips font chanter, avant d'attaquer le finale. Allegretto : nulle précipitation mais un esprit et une fraîcheur qui rappellent que compositeur savait quitter Paris pour aller se ressourcer sur ses terres auvergnates …
 
A George Onslow succède Théodore Gouvy (1819-1898) et à une œuvre méconnue, une autre qui l’est plus encore. Et pour cause : le Quintette à deux violoncelles en si mineur dormait à l’état de manuscrit depuis sa composition et c’est très probablement à sa création que le Palazzetto Bru Zane aura permis d’assister. Si l’Opus 75 d’Onslow constituait une belle découverte, celle-ci l’est sans doute plus encore. Une introduction Lento mène au premier Allegro. Urgence, tension sous-jacente : on est immédiatement saisi par l’autorité d’un propos que les interprètes restituent avec engagement. Symphonie de chambre : face une telle richesse polyphonique, c’est là encore la formule qui vient à l’esprit. Faussement badin, le Scherzo étonne par la variété de ses atmosphères. Sa mobilité contraste avec le vaste Andante sostenuto, grande méditation que les Manfred et Xavier Phillips animent d'une large respiration, sachant en souligner les contrastes – les confidences les plus secrètes côtoient de brûlants accents dans ce morceau surprenant. Quant au Finale, sa course haletante, continûment relancée, et sa chute abrupte après une saisissante réapparition du thème du Lento introductif achèvent d’emporter l’enthousiasme d’un public littéralement conquis. C’est d’ailleurs à Gouvy que revient le bis : une troublante et entêtante Elégie, elle aussi inédite. Nourri de culture allemande et française, ce compositeur n’a sûrement pas fini de nous surprendre. Il paraît que d’autres quintettes à cordes attendent qu’on s’intéresse à eux… On bout d’impatience !

Alain Cochard
 
(1) Il est permis d’imaginer que le violoncelliste Charles Lebouc (1822-1893), dédicataire de l’Opus 75 et fervent avocat de la musique d’Onslow, l’a un jour programmé dans les concerts qu’il organisa régulièrement à Paris à partir de 1862  
 
(2) Quatuors op. 8 nos 1 et 3, Quatuor op. 10 n° 3 ; Quatuor Ruggieri (1 CD Aparté AP 105)
 
Venise, Palazzetto Bru Zane, 28 avril 2015
 
Festival Onslow, jusqu’au 21 mai : www.bru-zane.com/?page_id=13073&lang=fr
 
La musique George Onslow (mais hélas pas le Quintette op. 75…) figurera en bonne place dans les programmes du prochain Festival Palazzetto Bru Zane à Paris, du 29 mai au 5 juin 2015 www.bru-zane.com/?festivals=2-festival-palazzetto-bru-zane-a-parigi&lang=fr

© Palazzetto Bru Zane - Photo Rocco Grandese

Partager par emailImprimer

Derniers articles