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Le Quatuor Artemis joue Beethoven, Ligeti et Schumann à l’Auditorium du Louvre

Les quatuors qui ont dépassé la décennie de vie commune soit tombent dans la routine, soit fleurissent avec l’intensité de leur première éclosion. Les Artemis appartiennent à cette seconde catégorie, le temps leur a permis d’envisager avec un œil toujours vif les partitions qu’ils fréquentent depuis longtemps, comme ce Quatuor Serioso de Beethoven qui ouvrait le concert.

D’emblée, le naturel des échanges, la souplesse des phrasés, l’électricité divinement conductrice de sensualité, la cohésion toujours réflective, découvrait un visage étonnement tendre du génie beethovénien. Car les Artémis contrairement à deux de leurs Quatuors mentors, les LaSalle et les Juilliard, n’enfoncent pas les portes, n’atomisent pas le registre chambriste : ils ne cessent de faire de la musique, laissant tout envahir par une douceur enivrante qui fait chanter chaque pupitre en regard de l’autre, ne transformant jamais les archets en arbalètes.

L’équilibre même de l’ensemble est inédit, Volker Jacobsen jouant d’un grand alto dont le timbre sombre et la corde d’ut résonnante en font le véritable violoncelle du quatuor, Eckart Runge, le violoncelliste justement, dispose d’un éventail de registres subtilement différencié et d’une touche parfaite, donnant toujours la nuance exacte, l’accent à propos, les deux violons se complètent : à Natalia Prischepenko le génie de la phrase, à Heime Müller la plénitude du son ; ils échangent d’ailleurs souvent leurs rôles, sinon lors de ce concert.

Le Serioso y gagnait une fluidité qui laissa certains sur leur faim. Eh quoi, un Beethoven qui ne rugit pas, où le crin ne mord pas la corde ? La solution était ailleurs, et d’abord dans l’invention toujours surprenante et jamais gratuite que la primarius imprime à ses phrasés : les quatuors se réfugient souvent derrière un style qui masque leur manque d’idées, pas les Artemis.

Le Premier Quatuor de Ligeti convoquait toute leur science poétique, et l’œuvre, loin de se couler facilement dans la veine des Quatuors de Bartok est l’un des quatuors fondateurs de la seconde moitié du XXe siècle, une œuvre ouverte sur le futur et pleine de réminiscences narquoises ou dépitées du passé. Présenter cette partition injouable en public et surtout la donner à entendre avec cette fantaisie, ce nuancier de couleurs, un registre expressif aussi subtil était un tour de force qui ne sentit jamais l’effort. Le public fut littéralement happé par l’œuvre.

Jusqu’au difficile Troisième Quatuor de Schumann, avec ses enfers de voix médianes, leur alla comme un gant, mais un gant noir, où se lisait sans phare la prééminence de la mort, le gris infini de la dépression. En bis, un Lieder ohne worte de Mendelssohn dédié à Clara Schumann et transcrit par le second violon Heime Müller redonnait un peu de soleil à ce concert exemplaire où l’émotion primait sur tout. Ce n’est pas si souvent.

Jean-Charles Hoffelé

Concert du Quatuor Artemis, Auditorium du Louvre, Paris, le 14 avril 2004.

Photo : Franz Eliskases


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