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Le Pré aux Clercs de Ferdinand Hérold à l’Opéra comique - Galante compagnie - Compte-rendu

Le Pré aux clercs à l'Opéra Comique

Après avoir en 2008, lors de sa première saison à la tête de l’Opéra comique, lui-même mis en scène Zampa de Ferdinand Hérold, Jérôme Deschamps rend à nouveau hommage à ce compositeur qui fit les beaux soirs de l’institution en programmant son ouvrage ultime, le plus célèbre : Le Pré aux clercs, dont le triomphe (cent-cinquante représentations pour la seule année 1832 !) n’empêcha pas le pauvre Hérold de mourir de la tuberculose, six semaines après, à 41 ans.

« Cinquième ouvrage le plus souvent programmé par l’Opéra comique », selon le programme de salle, Le Pré aux clercs n’est cependant guère familier des générations nées après la Seconde Guerre mondiale : aucune intégrale discographique n’en est aujourd’hui disponible, tandis que le célèbre « Kobbé » (Tout l’Opéra chez Robert Laffont) ne mentionne même pas Hérold… Grâces soit donc rendues à la Salle Favart de ressusciter ainsi non seulement un pan de notre histoire musicale mais encore un genre, un goût, un ton mêlant légèreté et nostalgie, oripeaux historiques et bonhommie !

Musicalement, on n’ira cependant pas jusqu’à crier à la redécouverte majeure : si l’ouvrage séduit, ses mélodies trop carrées, son chant syllabique, ses fréquents rythmes ternaires et/ou syncopés (le tout évoquant une sorte de compromis entre Rossini et Grétry) ne laissent guère de souvenir ni n’ouvrent une large place à l’émotion. Mais le livret habile et mouvementé d’Eugène de Planard ménage suffisamment de situations théâtrales pour que s’enflamme la verve du compositeur, qui brille particulièrement dans les nombreux duos et trios.

Inspiré de la Chronique du règne de Charles IX de Mérimée, la pièce, située sous le règne d’Henri III (et non plus à l’époque de la Saint-Barthélemy, comme les beaucoup plus tragiques Huguenots de Scribe et Meyerbeer, tirés de la même source et créés quatre ans plus tard) s’intéresse aux machinations ourdies par la rusée Marguerite de Navarre - la reine Margot - pour marier son amie Isabelle de Montal, promise par le roi de France au marquis catholique de Comminge, au protestant baron de Mergy. Pour la seconder, elle fait appel à un désastreux intrigant italien (Cantarelli) et à sa filleule, la piquante Nicette, fiancée à l’aubergiste du Pré au Clercs, le rendez-vous préféré des duellistes… Un panel de personnages dressé pour valoriser la troupe de l’Opéra comique d’alors : trois sopranos aux profils contrastés (léger pour Nicette, lyrique pour Isabelle, brillant pour Marguerite), trois ténors également dissemblables (le romantique Mergy, le bouffe « trial » Cantarelli et le sombre Comminge) et une basse (Girot, l’époux de Nicette).

La distribution réunie cette année à Favart a pour premier mérite de proposer une merveilleuse palette de timbres, beaucoup mieux caractérisés que ceux qu’on entend dans les décevants extraits gravés par Jesus Etcheverry pour Philips en 1962. Jaël Azzaretti, en dépit d’une voix de format modeste, campe une Nicette piquante et délicieusement frivole, parcourue de frissons nostalgiques dans sa belle chanson de l’Acte II et ses couplets de l’Acte III ; Marie-Eve Munger fait assaut d’émotion et de tendre legato dans sa romance du I, tout en affrontant vaillamment les cocottes de « Jours de mon enfance » (gravé par Sumi Jo pour Decca en 1994), pour lequel le haut-médium demande encore à s’épanouir ; tandis qu’avec ses couleurs plus corsées de mezzo, Marie Lenormand, comédienne d’ailleurs exceptionnelle, impose une Margot pleine d’autorité.

Michael Spyres prête son timbre magnétique et son médium chatoyant à l’héroïque Mergy (dont il émet cependant trop souvent les aigus en falsetto ou voix mixte) et Eric Huchet, familier des amateurs d’opérette, ne fait qu’une bouchée du désopilant Cantarelli – bien que l’on regrette parfois que ce rôle d’Italien ait été confié à une voix si typiquement française ! Emiliano Gonzalez Toro paraît moins à l’aise dans la tessiture de Comminge, tandis que le jeune baryton-basse Christian Helmer (Girot) joue d’un chant mordant et d’une émission glorieuse – un talent à suivre, c’est certain !

Zampa avait été dirigé par William Christie, et nous retrouvons ici un chef connu pour ses interprétations baroques : comme dans son répertoire d’élection, Paul McCreesh fait preuve de vigueur, de précision et de verve, mais tend à évacuer poésie et demi-teintes. Il faut dire que l’Orchestre Gulbenkian, qui n’a peut-être pas pris la mesure de la fosse, joue souvent trop fort, trop raide, notamment quand la partition s’embrume : dommage pour les trios de l’Acte III, ainsi que pour le chœur Accentus, qui semble parfois écrasé.

L’actuel administrateur général de la Comédie-française, l’acteur Eric Ruf, veut-il concurrencer son frère Jean-Yves, dont la critique a récemment salué les excursions lyriques (Elena de Cavalli au Festival d’Aix-en-Provence de 2013) ? Toujours est-il qu’il le fait avec les mêmes armes : pudeur et finesse dans le dessin des personnages. Revendiquant la fidélité au livret, à son contexte historique comme à ses péripéties, Ruf parvient à clarifier une intrigue embrouillée en inspirant à ses acteurs-chanteurs une série de mimiques et de petits gestes qui, sans jamais faire figure de clins-d’œil au public, mettent ce dernier en empathie avec les rôles. Sur ce plan, les disputes entre « conjoints » ou rivaux s’avèrent particulièrement réussies, tout autant que les complexes scènes de foule (affrontement de l’auberge, vaste finale de l’Acte II). L’épineux passage du parlé au chanté a manifestement été longuement travaillé par le chef et le metteur en scène, qui peuvent il est vrai s’appuyer sur des interprètes souvent très doués (mention spéciale à Huchet, Azzaretti et, surtout, Lenormand). Si le tableau le plus frappant (le passage de la barque funèbre, transportant le corps de la victime du duel – celui de Mergy ou celui de Comminge ?) manque un peu d’impact, faute de barque, faute aussi de profondeur de champ, on admire cette belle idée qui fluidifie la transition entre les deux premiers actes : au son du vibrant solo de violon introduisant l’air d’Isabelle, le magnifique décor d’arbres automnaux représentant la forêt d’Etampes glisse vers les bas-côtés, tandis qu’apparaît le sinistre fond de scène et que tombent des cintres les grises murailles du Louvre.

Un regret ? Les couleurs criardes des costumes (Renato Bianchi), et des éclairages (Stéphanie Daniel) un peu crus. Pas de quoi gâcher une charmante soirée dans la plus galante des compagnies…

Olivier Rouvière

Paris, Opéra comique, les 27, 29, 31 mars et 2 avril 2015

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