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Le Petite Messe solennelle à l’Opéra Comique - Rossini selon Nico - Compte-rendu

Spectacle singulier, dérangeant pour certains à coup sûr, mais d’une intelligence remarquable que la Petite Messe solennelle de Rossini que l’on a pu découvrir dans le cadre du « festival » en contrepoint de La Muette de Portici. Ces séries de l’Opéra Comique (les ex-“Rumeurs“) sont souvent riches en bonnes surprises : avec ce Rossini, réinventé par la compagnie berlinoise Nico and the Navigators (1) et son metteur en scène attitré Nicola Hümpel, on aura même dépassé en intérêt le spectacle principal.

En tournée européenne après sa création à la Kunstfest de Weimar en septembre dernier, la Petite Messe faisait étape pour deux soirées seulement à Paris. Les décors réussis d’Oliver Proske sont un peu à l’étroit à Favart. Qu’importe : la cohérence de l’entreprise a vite raison de cette réserve. Un très étrange et fassbinderien personnage encapuchonné et à lunettes noires, un autre prénommé Benoît – tiens, tiens… -, symbolisent la confrontation entre foi et raison dans la lecture que propose Hümpel d’une partition à laquelle il s’est permis d’ajouter quelques dialogues qui, sous des apparences anodines, ne cèdent rien au bavardage (anglais et allemand alternent ; quelques mots ou expressions en français ici ou là).

La vision de Hümpel n’est guère complaisante avec les rituels de l’Eglise (le mystère de l’Eucharistie tourné en dérision), mais rien ici d’une entreprise visant à « choquer le bourgeois » de manière gratuite. Le metteur en scène connaît son Nouveau Testament sur le bout des doigts et s’en inspire constamment pour s’approprier l’ouvrage de Rossini et bâtir un spectacle d’une fluidité étonnante qu’il est difficile de décrire. Mentionnons seulement ces deux éléments incurvés du décor, utilisés pour suggérer de façon assez bouffonne la marche de Jésus sur les eaux, qui, juste après, se dressent et s’assemblent pour évoquer l’épisode de la porte étroite - allusion qui prend l’impertinent aspect d’un passage sous un portique détecteur de métaux.
Au terme de l’oeuvre, tandis que commence l’Agnus Dei, on découvre la plupart des chanteurs-comédiens allongés sur la scène, les yeux tournés vers le ciel, tantôt bras grand ouverts et implorants, tantôt poing vindicativement tendu : l’image pourrait résumer l’esprit de cette Petite Messe solennelle entre foi et scepticisme, spiritualité et matérialisme.

Mêlés aux quatre acteurs et danseurs, les douze chanteurs (parmi lesquels Laura Mitchell, Ulrike Mayer, Milos Bulajic et Nikolay Borchev pour les parties solistes) se révèlent, sur le plan musical, à la hauteur de l’enjeu. D’aucuns ergoteront sans doute sur tel ou tel détail ; il est plus important de saluer la manière dont chacun s’intègre à la démarche de Hümpel, tout comme savent le faire les excellents David Zobel et SooJin Anjou (piano), Jan Gerdes (harmonium) ou le chef Nicholas Jenkins, tous transformés en protagonistes d’un spectacle finement réglé.

Alain Cochard

(1) Site de la Compagnie Nico and the Navigators : www.navigators.de

Paris, Opéra Comique, 21 avril 2012

La tournée de la Petite Messe solennelle se poursuit à Berlin les 22, 23 et 24 juin 2012(Radialsystem), au Festival de Bregenz, les 25 et 26 juillet 2012, et à Luxembourg, les 15 et 16 mai 2013 (Grand Théâtre).

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Photo : DR
 

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