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Le Nain et L’Enfant et les sortilèges au Palais Garnier - Pour L’Enfant - Compte-rendu

Dès le lever de rideau, le jardin de l’Infante planté de géantes asperges phalliques confrontées à un grand ventilo-marguerite prévient : Le Nain selon Richard Jones sera tout entier placé sous le signe de l’ironie. Les décors et les costumes d’Andy McDonald ne disent pas autre chose, avec leur méchante parodie des Ménines de Vélasquez, la direction d’acteur très démonstrative paraît du coup redondante. On s’ennuie assez vite devant tant d’effets plutôt laids, d’autant que l’idée phare de la mise en scène laisse perplexe. Richard Jones incarne le Nain sous la forme d’une marionnette mue par son chanteur. Lorsque l’on sait la taille altière de Charles Workman, l’entreprise semble impossible, mais cet acteur consommé se sort assez bien de la gageure.

Pourtant ce compromis marionnette-ventriloque ne fonctionne pas, l’un embarrasse l’autre, à la fin le personnage n’existe pas vraiment, malgré une scène de la révélation dans le miroir-piano plutôt bien vu : un vrai coup de théâtre mais dont l’effet s’estompe rapidement. Paul Daniel contient l’opulent maelström sonore déployé par l’orchestre de Zemlinsky mais n’oublie jamais d’innerver le drame. Plateau inégal : si Vincent Le Texier est parfait en Don Esteban, si Béatrice Uria-Monzon donne en Ghita une leçon de chant gourmé assortie d’une vraie présence scénique, Nicola Beller-Carbone comme à son habitude toutes voiles dehors, joue trop l’hystérie, ne compose pas assez finement son personnage, et la voix est plus d’une fois mise à mal par la tessiture comme pas l’écriture elle-même. Qu’est-il arrivé à Charles Workman ? On aime tant d’habitude son ténor haut placé, le voici durci, passant constamment en force au point d’en être éprouvant.

Entracte morose : qu’allait donner L’Enfant et les sortilèges ? Même si l’on regrette toujours de ne pas retrouver à Garnier la production de Jorge Lavelli qui avait marqué notre jeunesse – l’œuvre de Ravel était couplé avec un impeccable Oedipus Rex emmené par Maria Casares – il faut avouer que Richard Jones est allé très loin dans la vérité de l’œuvre pour ce qui demeure avec son Ange de feu son plus beau spectacle.

Commencé dans le théâtre intime de la maison, mais vite étendu à toute la scène dès la colère de l’enfant passée, sa fantastique suite de numéros oniriques évite tout effet de cabaret par la fluidité des enchaînements, la profondeur d’un noir en scène assez omniprésent qui suscite autant l’illusion que les coups de théâtre à la seconde. Chacun paraît dans l’état que lui a fait subir l’enfant – la plus étonnante des apparitions restant la princesse tranchée à la taille dont la robe blanche flotte d’un côté et le buste de l’autre - et tous sont prodigieux, du fauteuil Louis XV grand style de François Lis au feu-duende de Melody Louledjian, impeccable avec ses gitanes dans son brillant numéro espagnol, en passant par un irrésistible François Piolino, impayable en Théière-boxeur de foire ou en petit vieillard mais dont le grand show reste l’Arithmétique, institutrice sadique en talon aiguille et chignon pratiquant l’éducation anglaise. Décidément le travestissement est la grande affaire de cet irrésistible chanteur-acteur.

Le jardin nous transporte dans l’horreur de 14-18, avec ses arbres soldats qui donnent de la blessure l’image tragique à laquelle pensait Ravel, si touché par la grande guerre dont le souvenir l’obsède alors qu’il écrit L’Enfant. Vision sombre, avec ces étranges grenouilles-scaphandriers, qui montre bien que le rêve a tourné au cauchemar. On l’a dit, tous sont parfaits, et dans la fosse Paul Daniel fait tout fluide, tour à tour poétique ou cassant. Mais donnons la palme à la Princesse enamourée d’Amel Brahim-Djelloul dont on a encore la longue voix claire dans l’oreille. La plus belle princesse depuis Suzanne Danco, pas moins.

Jean-Charles Hoffelé

Zemlinsky : Le Nain / Ravel : L’Enfant et les sortilèges - Paris, Palais Garnier, le 29 janvier, prochaines représentations les 4, 6, 9,d 11 et 13 février 2013.

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Photo : Opéra national de Paris/ E. Mahoudeau
 

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