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Le Médecin malgré lui de Gounod au Grand Théâtre de Genève/ Opéra des Nations - La bouffée d’oxygène - Compte rendu

Revoilà donc, dans une nouvelle production genevoise dirigée par Laurent Pelly, ce composite petit bijou dont l’Opéra de Saint-Etienne, l’an passé, avait déjà offert une vision fine et délicate, signée Alain Terrat, délicieuse à l’œil dans son léger mauvais goût ! (1) On ressort donc décidément de l’oubli, malgré quelques tentatives passagères, cette œuvre étrange, écrite à quatre mains à près de deux siècles de distance : d’un côté le cruel, écorché vif, rebelle et si douloureux Molière, qui la fait jouer en 1665, de l’autre le lyrique, sage et religieux Gounod, qui en 1858 trouve un exutoire à sa déception de voir son Faust momentanément éconduit avec ce sujet dont on a l’impression qu’il n’est guère fait pour lui, alors qu’un Offenbach en aurait fait son miel.
 
Le résultat est surprenant, car même s’il ne s’agit pas de la meilleure pièce de Molière, elle comporte des moments dits  « cultes », et traite de l’incurie médicale du temps d’un ton subtilement féroce qui n’appartient qu’à lui. Quant à Gounod, on y entend tout Faust en négatif, avec des retournements mélodiques et stylistiques qui ramènent la musique à des bases plus terrestres, plus quotidiennes, relevées d’un humour qu’on ne lui aurait pas prêté.
 
L’air des glouglous est resté célèbre, à juste titre, avec sa légèreté charmante qui permet à l’interprète de se tailler un joli succès, comme le « je suis un peu grise » de la Périchole d’Offenbach, ou la scène des paysans venus demander de l’aide au faux médecin. Tout le rôle de Sganarelle est d’ailleurs traité de la même verve jouissive ce qui donne à Boris Grappe, le baryton en piste, l’occasion de déployer une superbe aisance et une forte présence comique.
 
Avec ce bizarre mélange qui fait sourire plus que rire,- car Gounod ne pratique pas le gras- mais tient constamment sous le charme, Laurent Pelly qui avait déjà donné sa Grande Duchesse de Gerolstein l’an dernier à Genève, pénètre  pour la première fois l’univers de Gounod, moins tranché donc, moins caricatural que celui d’Offenbach, et de ce fait sans doute moins facile à croquer. Il résout le problème en optant, à sa façon coutumière, pour le pur burlesque, les ébats ahurissants des personnages se déroulant sous une sorte de structure  hétéroclite suspendue,  où sont accrochés caddy, lapin en peluche, escabeau et autres seaux, sorte de déchetterie du quotidien, mise en place par sa complice en bouffonnerie, Chantal Thomas. Le monde marche sur sa tête ! Plus tard, il y a aura de grands canapés, moins inventifs, pour les séances de pseudo-médecine. Et voilà ce groupe de semi-fous, tous engagés dans des actions hilarantes et incongrues, qui s’agite consciencieusement façon Shadocks, avec un soin dans les déplacements où on reconnaît la patte du très soigneux Pelly. L’effet de cette loufoquerie sérieuse est irrésistible.
 
 Dans la fosse, le chef Sébastien Rouland est lui aussi tout entier à sa proie attaché : il mène l’Orchestre de la Suisse romande avec une énergie, une furia qui ramènent l’œuvre à son style de commedia dell’arte, vigoureuse et sans gêne, et ne laisse pas les solistes se reposer, sauf pour les deux airs de Léandre, rôle un peu épiphénoménique, pour lequel il permet à Stanislas de Barbeyrac de jouer la carte du charme suspendu avec sa voix de ténor chaude et émouvante, sur le ton de la sérénade, alors que tout le reste ne fait que gambader, à commencer par les dames : la Martine pointue d’Ahlima Mhamdi, un rien trop acide, la cocasse Clémence Tilquin en Lucinde, rôle bref, et la savoureuse Doris Lamprecht en nourrice, vraie commère de Windsor. Quant à Franck Leguérinel, dans le rôle très parlé de Géronte, il est inénarrable avec sa coupe en brosse, son gros ventre et son air confit. Bref, l’équipe se défonce et le public se pourlèche les babines devant cette friandise inattendue, ce malgré les difficultés sonores dues à la difficile salle de l’Opéra des Nations, où le Grand Théâtre de Genève a trouvé abri, le temps des travaux qui le rénovent.
 
Jacqueline Thuilleux

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(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/le-medecin-malgre-lui-de-gounod-lopera-de-saint-etienne-delikatessen-compte-rendu
 
Gounod : Le Médecin malgré lui – Genève, Opéra des Nations, 6 avril ; prochaines représentations, les 10, 12, 14 & 16 avril 2016. www.geneveopera.ch

Photo © Carole Parodi

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