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Le Festival Présences à Aix-en-Provence -Voix et lumières du Sud - Compte-rendu

Pour sa 23e édition, Présences a mis le cap au Sud, s'installant au Grand Théâtre de Provence pour évoquer, en liaison avec Marseille Provence 2013, capitale européenne de la culture, les compositeurs de la Méditerranée.

Faire entendre les compositeurs de la Méditerranée, qu'est-ce que cela veut dire ? S'il s'agit de dresser un état des lieux de l'écriture et de la pratique musicales contemporaines, sur un espace riche de traditions séculaires, gageons que cinq jours, même avec sept concerts sur un week-end, cela fait bien peu. Inviter l'Ensemble égyptien de musique contemporaine semblait une initiative intéressante, permettant de donner un aperçu de la création contemporaine deux ans après la vague des révolutions arabes.
La réalité, telle qu'elle ressort du concert, est celle d'une musique figée, privée des ressorts de la modernité, d'un académisme proche du « réalisme socialiste ».
L'outrage fait aux arts par les régimes autoritaires apparaît ici flagrant : « seul ensemble égyptien à travailler avec les compositeurs étrangers » selon sa biographie, l'EEMC semble avoir aujourd'hui tout à apprendre d'un monde musical dont son pays a été coupé. Invité à diriger la création de sa nouvelle œuvre, Séhel pour instruments traditionnels (rabâb, à cordes frottées, et tambour derbouka) et ensemble, seul Thierry Pécou (né en 1965) parvient à féconder la tradition d'un peu d'invention et de personnalité.

Nul autre ensemble non-hexagonal n'étant présent, l'état des lieux – pour l'interprétation – s'arrête là. Commence alors en revanche une intéressante mise en perspective de thématiques partagées de part et d'autre du bassin méditerranéen. La plus remarquable, au-delà du recours à la voix – présente dans tous les concerts, à une exception près – est la recherche qui s'élabore autour de la notion d'oralité.
Georgia Spiropoulos (née en 1965) en a fait l'un de ses champs d'investigation sonore privilégiés. Certes, sa pièce programmée par l'ensemble 2e2m, la seconde du cycle Bouches, n'a pu être présentée, faute d'un temps suffisant pour installer le dispositif électronique dans le Grand Théâtre de Provence, où concerts et répétitions se sont enchaînés sans discontinuer durant tout le week-end ; l’œuvre sera créée le 7 mai au CRR de Paris en même temps que l'ensemble du cycle.
Cependant, le Musée Granet présente jusqu'au 13 avril, dans le cadre de son exposition « Cadavres exquis » consacrée aux artistes de la Méditerranée, une installation sonore de la compositrice grecque, « cartographie sonore » des voix et sons des rivages méditerranéens, pilotée par un programme conçu à l'Ircam.

Les traditions orales, appartenant au champ des musiques populaires, sont aussi souvent convoquées. C'est le cas avec Naturale de Luciano Berio (1925-2003), faisant dialoguer des chants enregistrés en Sicile et celui de l'alto (l'excellent Christophe Desjardins, qui a enregistré l’œuvre chez Aeon, ici accompagné par le percussionniste Daniel Ciampolini). C'est le cas aussi, plus indirectement, de Iannis Xenakis (1922-2001), qui s'inspire pour N'Shima (chanté par Shigeo Hata et Maja Pavloska avec 2e2m) de techniques vocales utilisées au Proche-Orient.

L'oralité induit une attention toute particulière à la langue et Présences a cette année fait résonner des idiomes bien peu courants dans la création contemporaine. Les deux rendez-vous avec Ahmed Essyad (né en 1938) ont ainsi fait entendre la langue arabe – qui chante déjà quand elle est parlée, comme le souligne le compositeur – s'acclimatant au chant de l'orchestre (Chant alluvial avec la mezzo Simona Caressa et l'Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Pascal Rophé) ou répondant au jeu instrumental par un jeu de miroir auxquels se sont livrés Françoise Kubler et l’ensemble Accroche-Note dans le magnifique cycle des Voix interdites (récemment enregistré sur le label L’empreinte digitale).

Le pouvoir de la langue, c’est aussi ce qui est à l’œuvre dans Avoaha, la dernière œuvre achevée de Maurice Ohana (1913-1992), qui puise aux sources des langues africaines, ou dans Callara II de Zad Moultaka (né en 1967), dont la partie vocale est bâtie sur des textes mayas anciens. Mais surtout le texte est magnifié par la forme que le compositeur libanais donne à son œuvre, entre martellement hypnotique et évanescence. Plus subtilement encore, ce sont les intonations de la langue qui irriguent le seul discours instrumental dans le triptyque Trois fois Hellas, chef-d’œuvre en miniatures du compositeur Alexandros Markéas (né en 1965) : la deuxième pièce, toute en homorythmie, fait entendre la plainte sans pourtant convoquer aucun mot.
L’altiste Christophe Desjardins, le Quatuor Voce et le percussionniste Daniel Ciampolini portent dans leur interprétation toute la ferveur rituelle contenue dans l’œuvre.

Or un festival, c’est avant tout cela : rendre possible la rencontre d’œuvres avec le public. Si la réussite d’un festival se juge au nombre de « beaux moments » offerts à l’auditeur, cette édition de Présences, certes très ramassée, a largement répondu aux attentes. Le concert dirigé par Pascal Rophé – qui a encore une fois montré ses qualités superlatives dans le répertoire contemporain et sa parfaite entente avec les musiciens de l'Orchestre philharmonique de Radio France – a révélé trois œuvres aux beautés complémentaires. Luca Francesconi (né en 1956) nous plonge dans les vertiges sonores d’un orchestre entraîné par le violoncelle solo (impressionnant Mario Brunello), les violoncellistes de l’orchestre, agissant comme une caisse de résonance.
On y trouve la trace du merveilleux orchestrateur que fut son maître Luciano Berio (Quatre dédicaces pour orchestre, étincelantes). Enfin, si l’orchestre d’Ahmed Essyad apparaît plus sombre, aux côtés des sonorités lumineuses des deux Italiens, le mouvement central de Chant alluvial réinvente la magie de l’instant, quand de nouveau la musique s’enflamme, flammèches de percussion sur les braises de la voix. Peut-être finalement est-ce cela qui unit nombre de compositeurs de l’espace méditerranéen : une certaine présence de la lumière.

Jean-Guillaume Lebrun

Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, 26 et 27 janvier 2013.

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Photo : Catherine Peillon
 

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