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Le Duo Adrien Fournaison / Natallia Yeliseyeva à l’Auditorium du Musée d’Orsay – De bonheur et de doute – Compte-rendu

 
Pour mieux associer à l’établissement les lauréats de l’Académie Orsay-Royaumont, les concerts de midi du Musée d’Orsay ont depuis peu pour règle d’exiger des tandems chanteur-pianiste qui s’y produisent un petit effort d’imagination. Leur est en effet demandé de relier leur programme à l’une des très nombreuses œuvres du musée. Les artistes ont l’embarras du choix et, guidés par leur sensibilité, ils s’aventurent parfois hors des sentiers battus, optant pour des toiles moins connues, dont il leur appartient de prouver l’adéquation avec les mélodies qu’ils interprètent.
 
Avec la pianiste Natallia Yeliseyeva (sa partenaire depuis leur rencontre au CRR de Paris en 2016), le baryton Adrien Fournaison a jeté son dévolu sur une peinture de l’Américain Alexander Harrison (1853-1930), La Solitude, œuvre assez obscure dans tous les sens du terme, où une barque glisse dans la nuit sur un lac noir. Le clair de lune n’éclaire que la rame, et l’unique personnage échappe à toute identification. Cette toile faite de mystère symboliste accompagnera un parcours où il sera beaucoup questions d’eau et de reflets, de paysages fascinants ou inquiétants, et d’âmes tourmentées. Un programme fait « de bonheur et de doute », pour citer le dernier vers du poème « Un cygne » de Rainer Maria Rilke, qui ouvre ce concert.
 
De bonheur, à n’en point douter, d’abord grâce à l’originalité et à l’éclectisme du programme, car Adrien Fournaison n’est pas de ceux qui se cantonnent à un seul répertoire qui leur est depuis longtemps familier : au cours de ce récital, il chante dans quatre langues, et le programme couvre plus de deux siècles de musique, de 1815 à 2018, avec des compositeurs de près d’une dizaine de nationalités différentes. Il y a un très solide noyau allemand (Schubert surtout, mais aussi Schumann, Brahms, Wolf, Strauss, et même Liszt, moins fréquenté pour ses lieder, sans parler de Medtner), un pôle français (trois Fauré, auxquels s’ajoutent un poème de Verlaine par le jeune Stravinsky et le Rilke mis en musique par Barber), que complètent une mélodie de Respighi en italien et une des Elizabethan Songs d’Ivor Gurney. Beau programme riche en découvertes.
 
De doute, ce programme est pétri car les poèmes expriment l’interrogation et l’incertitude, mais quelques doutes naissent aussi dans l’esprit de l’auditeur. En effet, ce programme semble parfois un rien trop languissant, et l’on se dit que peut-être le baryton aurait dû privilégier davantage ces œuvres qui l’obligent à sortir de sa réserve, à oser une expressivité plus intense. Le timbre est beau, les demi-teintes maîtrisées et la voix de tête utilisée à très bon escient, mais le chanteur abuse un peu des notes fixes, là où l’on aimerait une sensibilité plus extravertie. Et il montre qu’il en est capable dans certains lieder qui appellent un investissement qu’Adrien Fournaison est parfaitement apte à offrir, « Der Zwerg » de Schubert le démontre amplement. Le toucher délicat de Natallia Yeliseyeva ne demande lui aussi qu’à s’enhardir dès que la partition l’exige, et tous deux ont tout à gagner à prendre plus de risques, à mettre plus de théâtre dans l’univers de la mélodie.
 
Chaleureusement applaudis, les deux complices concèdent un bis, toujours sur un thème aquatique : une vraie rareté, là encore, « Abend auf dem Fluss » de Hans Gál, contribuant indéniablement au bonheur du mélomane curieux.
 
Laurent Bury
 

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Paris, Auditorium du Musée d’Orsay, 21 mai 2024
 
Photo © Sophie Crépy - Musée d'Orsay

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