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Le Corsaire par le Ballet du Capitole - Sabre au clair ! – Compte rendu

A deux reprises, lors de sa création en 2013 (1) puis à sa reprise en 2016 (2), on a applaudi à cette réjouissante entreprise, par laquelle Kader Belarbi, arrivé au Capitole, avait décidé de redonner vie au répertoire classique, en des terres où il était quelque peu méconnu, contrairement à l’opéra, vraie passion de Toulouse. Quelques années ont passé, et la ville rose s’est mise au ballet, car Belarbi a su intelligemment doser sa passion pour son héritage et lui donner du piquant, en l’adaptant aux moyens du bord et à la culture du public, lequel n’a pas baigné dans les Giselle, Lac des cygnes et autres Raymonda dont les parisiens se régalent périodiquement. Alors que Belarbi, lui, a joué tous les princes, et même aussi les mauvais garçons dans des œuvres contemporaines qui sont un peu son jardin secret.
 
Le succès remporté dans une ville aussi cruelle que Paris, dit assez combien la productrice Vony Sarfati, laquelle, avec sa série TranscenDanses, défriche tout ce qu’elle peut trouver d’intéressant et de peu galvaudé sur la planète ballet – avec des risques et des échecs forcément – a eu raison de faire  « monter » au prestigieux TCE cette compagnie qui n’était jamais venue à Paris, de toute son histoire. Et Kader Belarbi, qui a pris le temps de peser les réactions des publics, a heureusement choisi d’y présenter ce Corsaire, qui est un peu sa Bayadère, même s’il n’a historiquement rien de russe, puisque la version originale fut créée à l’Opéra de Paris en 1856, signée de Joseph Mazilier, et inspirée de Byron.
 
Le ballet, enjoué, malgré des arrière-plans plus dramatiques, n’a rien perdu de son charme ni de son éclat en quatre années, et la scénographie confuse a trouvé une certaine évidence. Les danseurs ont eu le temps et l’opportunité de trouver le ton juste pour s’adapter à ce langage romantique auquel Belarbi a insufflé une dose de vitamine toute neuve, créant une sorte de mouvement quasi cinématographique dans les enchaînements au lieu des habituelles entrées purement virtuoses. Décor simple mais parlant, costumes exquis, lamés et scintillants avec de délicates graduations d’Olivier Bériot, notamment celui de la Favorite, incarnée avec hauteur par l’impressionnante Juliette Thélin.

Entre rêves d’enfants, coffres de pirates et rapières, sultans enturbannés, almées ensorcelantes et bateaux prêts à cingler vers de nouveaux horizons, un drame, gracieusement mais fermement dessiné, se joue et la chorégraphie crée des moments qui pourraient figurer dans l’anthologie du ballet classique, avec notamment un magnifique pas de deux, extrêmement expressif entre le sultan énamouré et sa captive qui se défend. Et également de savoureuses danses de matelots, enlevées par une robustesse réjouissante par un corps de ballet qui n’a guère l’air de s’ennuyer.
 
On tape du pied, on tape du poing, on ondule aussi, et un souffle de ballet russe vient aviver ces rêveries exotiques, comme si les héroïnes de Schéhérazade, ou de la Fontaine de Bakhtchisaraï  repassaient dans cette inspiration riche de ses souvenirs. Bref, de la fidélité à un temps, sans mièvrerie ni pantomimes trop appuyées, la danse y suffit ! Et de très beaux interprètes, la douce et gracieuse Julie Charlet, le brillant et solide Davit Galstyan, piliers de la compagnie, en alternance avec deux jeunes et étincelantes recrues, Natalia de Froberville et Ramiro Gómez Samón. Et l’on redit à quel point les pieds des ballerines du Capitole, leur travail de pointe, sont magnifiques.
 
« Un blocage a été levé, vis-à-vis de notre compagnie, et cela nous donne des ailes pour la suite » se réjouissait Kader Belarbi, face à un accueil enthousiaste. Seul regret, qu’une troupe qui a l’habitude d’être accompagnée sur le vif par le formidable Orchestre du Capitole, soit ici contrainte de se produire sur bande, même s’il s’agit des musiques discutables d’Adam – meilleur dans Giselle –, heureusement étayées par des pièces de Lalo, Massenet et autres. Encore un rempart qu’il faudra ébranler.
 
Jacqueline Thuilleux

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(1)Lire les CR:  www.concertclassic.com/article/le-corsaire-de-kader-belarbi-par-le-ballet-du-capitole-comme-un-beau-conte-compte-rendu
www.concertclassic.com/article/le-corsaire-de-retour-au-theatre-du-capitole-un-ballet-plus-une-fete
 
Le Corsaire (chor. Kader Belarbi) – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 21 juin 2017.
 
Photo © Francette Levieux

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