Journal

Le Coq d’or de Rimski-Korsakov à l’Opéra de Lorraine - Fable noire - Compte-rendu

Repris du spectacle créé à Bruxelles en décembre dernier, Le Coq d’or semble trouver un cadre idéal dans la ravissante salle rococo de l’Opéra de Nancy sis sur la non moins ravissante place Stanislas. Certainement mieux, avec sa scène resserrée, que le chapiteau provisoire où se réfugie actuellement l’Opéra de la capitale belge. Mieux en phase également avec le décorum de cette coproduction entre la Monnaie, Nancy et le Teatro Real de Madrid (1) ; puisque ce conte d’après Pouchkine, mis en musique par le dernier Rimski-Korsakov, verse dans la féerie luxuriante, traduite ici par un Laurent Pelly inspiré.
 
Mais une féerie grinçante, qui voit un Tsar de fantaisie et despote peu éclairé, hésiter entre les fainéantises d’un sommeil réparateur, les cruautés guerrières et un amour enchanté tout autant dévastateur. Cela finira mal, fatalement, annoncé par les vaticinations morbides d’un coq magicien face à une population condamnée sans rémission à l’asservissement. Un message d’un pessimisme noir, qui ne serait pas sans rappeler ceux de Boris Godounov ou La Kovantchina de Moussorgski, mais sous des contours de légende intemporelle qui en accentue le caractère implacable. La musique figure celle d’un Rimski à son apogée, entre une déclamation narrative, des envols de lyrisme et une orchestration scintillante sur des motifs emprunts de mélopées slaves. Son testament, d’une certaine manière, pour son tout dernier opéra (écrit en 1907, mais représenté seulement en 1909, un an après sa mort, sous la pression de la censure).

© Opéra national de Lorraine

La mise en scène signe l’une des plus justes conceptions de Laurent Pelly, dans un ton de comédie, mais sans les gags appuyés auxquels il nous a parfois habitué, pour virer dans les deux derniers actes à des images caverneuses de sombre désespoir. Le décor place d’emblée le propos : sur un sol charbonneux, ténébreux comme la pensée, accueillant un lit royal argenté dont le tsar ne peut se défaire, puis un large serpentin de métal figurant le désordre d’un champ de bataille, et le retour du lit sur un socle de tank à chenilles. Les personnages restent cantonnés dans l’ombre de frusques et visages peinturlurés de bitumes, sauf le tsar de l’histoire, en éternel pyjama et pantoufles, et l’autre héros, le coq grandeur nature, d’un plumage aux dorures chatoyantes (comme il se doit). Cette pénombre obstinée met d’autant en valeur les protagonistes principaux de l’action, comme aussi le message désespéré que sous-tend le livret. Le deuxième acte, qui confronte les émois du tsar face à l’apparition de la voluptueuse Reine de Chemakha, confine à la longue scène statique. Le troisième et dernier acte reprend cependant de la vigueur, avec des scènes de foule saisissantes, dans les apparitions surgies des arrière-fonds de toile d’une populace en détresse. Une impressionnante leçon d’un monde figuré sans lumières, comme pouvait l’être la Russie des tsars et celle de la prochaine Union soviétique que préfigure cet opéra au ton prémonitoire. Noir, c’est noir !

© Opéra national de Lorraine

La distribution y contribue pleinement. Depuis un Tsar Dodon, par Vladimir Samsonov, irrésistible de faconde comédienne, mais de chant en rapport plus limité. À une Reine de Chemakha étincelante, sous la coloratoure échevelée de Svetlana Moskalenko. Mais aussi avec l’Amelfa de bonne prestance de Marina Pinchuk, le Coq aux aigus sonores d’Inna Jeskova et l’Astrologue d’ardent falsetto de Yaroslav Abaimov. Car le plateau réunit des chanteurs russes, comme le réclame ce livret transmis en langue originale et son chant en relation. Les autres participants donnent davantage dans la figuration susurrée que dans l’élan vocal, mais ainsi le veut la déclamation de Rimski.
 
La battue de Rani Calderon, directeur musical de l’Opéra national de Lorraine depuis la saison passée, distille précision et emportements, devant un excellent orchestre, qui aurait parfois tendance à couvrir les chanteurs dans le premier acte, et un chœur sans faute tout aussi excellent. Ce qui ne justifie pas l’ajout d’un passage orchestral étranger à la partition, le bel impressionniste Lac enchanté d’Anatoli Liadov (daté de la même époque, 1909), délicatement dirigé mais déplacé, pour faire office d’interlude entre les deuxième et troisième actes quand un simple précipité aurait suffi. Seule erreur d’une réalisation à tous égards attachante.
 
Pierre-René Serna

logo signature article

(1) Du 25 mai au 9 juin // www.teatro-real.com/es/temporada-16-17/opera//el-gallo-de-oro
 
Nikolaï Rimski-Korsakov : Le Coq d’or – Nancy, Opéra national de Lorraine, 12 mars ; prochaines représentations : 14, 16, 19 et 21 mars 2017 // www.opera-national-lorraine.fr/spectacles/le-coq-dor-nicolai-rimski-korsakov
 
Photo © Opéra national de Lorraine

Partager par emailImprimer

Derniers articles