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Le Centaure - Une interview de Zoltan Kocsis


Il fait totalement corps avec son piano, et c’est là qu’il s’exprime le mieux, même s’il parle avec bonheur de sa double carrière de soliste et de chef. Entre Budapest, où il dirige d’une poigne énergique et inspirée l’Orchestre Philharmonique de Hongrie, et le reste du monde où sa réputation en fait un artiste perpétuellement réclamé depuis ses débuts triomphaux il y a près de quarante ans, un agenda de star. Mais ce géant de la musique, fils spirituel de Bartok dont il a gravé l’intégrale de l’œuvre, n’a rien d’une star, il parle peu de lui et avoue avoir surtout un air qui trotte dans sa tête en permanence. A Budapest, dans son bureau du Palais des Arts qui abrite la grande salle Béla Bartok, il reçoit en tee-shirt et baskets, et se rue sur le piano qui trône dans la pièce: la simplicité même. Pas avare de son talent, il ponctuera toute l’interview d’intermèdes musicaux : Schubert, Liszt, qui s’en plaindrait ! On se réjouit donc particulièrement d’avoir en clôture du Festival d’Auvers-sur-Oise ce phénomène danubien, au charisme très particulier, qui y avait fait sensation en 2002, lors de sa première venue.

Vous avez choisi de donner un récital intégralement schubertien à Auvers-sur-Oise. Pour quelle raison ?

Zoltan Kocsis : Parce que je suis profondément attaché à cet auteur, tout simplement. Les gens pensent souvent qu’il est toujours pareil, et que ce que nous apporte sa musique est tracé une fois pour toutes. C’est faux, et je veux montrer la multiplicité de ses facettes et de ses contrastes. Il est l’ancêtre de beaucoup de formes ultérieures, et l’on retrouve sa trace chez Mendelssohn et Schumann, notamment. Il présente aussi une dimension très dramatique. Pour ma part, lorsque je suis moins en forme, il y a trois musiciens dans lesquels je me replonge toujours comme dans une source, ce sont Bach, Mozart et Schubert : mon trio magique.

Quels sont vos dieux pianistiques ?

Z. K. : Liszt assurément, mais il n’y a pas de CD, ensuite Rachmaninov, Joseph Hofmann, Sviatoslav Richter. Lui a totalement renouvelé l’approche du piano. C’est pour moi le plus grand de la seconde moitié du XXe siècle, un pianiste universel. Guilels était plus spécialisé, plus restreint dans ses goûts, lui qui rêvait de jouer Beethoven comme Backhaus. Il y eut aussi Lipatti, et même Dohnanyi, magnifique. Bartok bien sûr a ajouté sa marque, et il ne faut pas oublier que son professeur était élève de Liszt. Contrairement à Rachmaninov, qui composait de la musique romantique, et qui reste comme un romantique, lui n’a pas gardé ce style. Cziffra, virtuose né, était plus conservateur ; pas un pianiste moderne. Le son chez lui était traditionnel. Mais son parcours est si émouvant. Il était né dans le 13e district de Budapest, comme moi, un endroit pas facile, il vivait comme un tzigane. On ne peut pas non plus oublier Pollini, vraiment un moderne.

Comment partagez vous votre temps entre direction et piano ?

Z. K . : Très facilement, car une activité complète l’autre. C’est très bon d’avoir plusieurs territoires en musique : j’invite Mustonen, Volodos, Toradze, Dalberto. Ce sont tous des amis, mais ils passent deux jours, avec des plannings absolument énormes. Pour ma part, il m’arrive de jouer aussi en dirigeant, mais c’est rare. Je peux le faire pour Mozart ou Beethoven, jusqu’à son 4e Concerto. C’est beaucoup plus hasardeux pour le 5e, qui nécessite réellement une grande concentration pour le chef. Il y a aussi le 1er de Liszt, lequel comporte tant de passages rhapsodiques en soliste qu’il est possible de le conduire du piano. Et je me souviens, dans un film en noir et blanc capté à Moscou, d’avoir vu Van Cliburn jouer et diriger le 3ème de Prokofiev. Mais en général, je préfère être chef ou pianiste. Ce qui me passionne particulièrement dans l’énorme masse de la musique symphonique c’est la puissance des individualités, ainsi celle de Bruckner, au pouvoir architectonique limité, mais au style unique. De même pour Dvorak, si indécis à ses débuts, avant de dégager son mode d’expression. Strauss lui ne comprenait pas Mahler, alors que Schönberg les aimait tous deux ! Quant à Bartok, il adorait Debussy, dont il trouvait que sa musique ne tombait jamais dans les banalités de Strauss. Moi aussi d’ailleurs, et j’ai à peu près tout joué et dirigé de lui.

Dirigez-vous des opéras ?

Z. K . : A Budapest, nous avons des concerts d’opéra parfaits, car la salle est très bien adaptée au lyrique. Nous avons notamment donné Pelléas en concert. J’adore le silence qui est majeur dans cette œuvre. Et là, nous préparons Moïse et Aaron. Il m’arrive aussi de collaborer avec le Ballet de Budapest, et j’aimerais diriger Jeux et Daphnis et Chloé lors d’une représentation. J’ai réalisé aussi un de mes grands rêves, avec les Gürrelieder. Mais je n’ai plus le temps de composer. Autrefois, je faisais des transcriptions pour le piano, maintenant je fais des instrumentations pour l’orchestre, ainsi celle de la Vallée d’Obermann ! Chaque concert a de toute façon une ligne très étudiée. En automne, je reviendrai en France, avec un programme Brahms-Bartok à Pleyel, et à l’Arsenal de Metz. J’aime beaucoup le contact avec les salles, mais il faut que le public soit bon ! Et il est si divers, d’Aix à Lyon, à la Roque d’Anthéron, Menton, Saint-Riquier ou Auvers.

N’êtes-vous jamais débordé par cette énorme activité ?

Il n’y a qu’un homme qui n’est jamais fatigué, c’est Boulez !

Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 27 mai 2009.

Zoltan Kocsis en récital à l’Eglise Notre Dame d’Auvers-sur-Oise, le 4 juillet 2009 à 21h. Masterclass le 3 à l’Hôtel de Ville d’Auvers-sur-Oise (de 10 à 13h et de 15 à 18h).


> Lire les autres articles de Jacqueline Thuilleux

> Programme détaillé du Festival d’Auvers-sur-Oise

Photo : DR

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