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​Le Ballet Royal de la Nuit à l’Opéra de Dijon – Féerie pour le temps présent – Compte-rendu

Le Ballet Royal de la Nuit ? Un moment mythique de l’histoire de la musique et de l’Histoire tout court : c’est avec lui qu’en 1653, après avoir maté la Fronde, Louis XIV, âgé de 15 ans, affirma de la plus fastueuse et saisissante manière son pouvoir. Un geste artistique et politique qui lui valut le surnom de Roi-Soleil, astre que le jeune monarque épris de danse incarnait au terme d’un spectacle composé de quatre veilles préparant à l’apothéose finale.

Après une longue gestation, la production qui l’on aura pu successivement découvrir au Théâtre de Caen – lieu de résidence de l’ensemble Correspondances –, à l’Opéra Royal de Versailles et enfin à l’Opéra de Dijon (les trois coproducteurs, bien inspirés !, du Ballet) marque elle aussi l’apothéose et le couronnement du patient travail mené par Sébastien Daucé (un enregistrement a précédé, rappelons-le, en 2015 chez Harmonia Mundi).

© Ph. Delval 

A la tête des musiciens de Correspondances, le chef a certes depuis un moment déjà trouvé sa place dans le paysage de la musique baroque mais, avec ce qui constitue leur premier grand projet scénique, Daucé et sa formation effectuent un pas de géant en se plaçant au cœur d’une réalisation hors du commun.
Formé de musiques de Jean de Cambefort, Antoine Böesset, Louis Constantin, Michel Lambert, auxquelles on a ajouté de larges extraits de l’Orfeo de Rossi et de l’Ercole amante de Cavalli – ouvrages qui tissent des liens on ne peut plus naturels avec les thème et les personnages du Ballet, le spectacle qui s’offre au spectateur de ce début de XXIe siècle s’appuie sur une fine connaissance musicologique et historique, mais ne relève en rien d’un travail de reconstitution. Féerie baroque certes, mais féerie pour le temps présent d’abord que ce Ballet Royal, fruit d’une étroite collaboration entre S. Daucé, la metteuse en scène, chorégraphe et scénographe italienne Francesca Lattuada et le dessinateur de costumes Olivier Charpentier.

© Ph. Delval

Tout ici fusionne en un spectacle total. Les décors ? Aucun, et c’est l’une des forces d’un projet qui se contente des lumières (fabuleux travail de Christian Dubet !) et de quelques vidéos (Aitor Ibañez), parvenant à une souplesse et une fluidité idéales dans sa mise en œuvre. Quant à tous ces circassiens, jongleurs, acrobates, ils semblent défier en permanence les lois de la physique, comme dans un rêve ... dans lequel l’envoûtante voix de la Nuit (« Languissante clarté, cachez-vous dessous l’onde ») – merveilleuse Lucile Richardot ! – nous entraîne à l’orée de la première veille.

© Ph. Delval

C’est bien un rêve, fastueux, que l’on vit un peu plus de trois heures durant au fil d’un spectacle où hommes et dieux, petites gens et puissants, animaux fantastiques et êtres infernaux défilent dans une incroyable galerie de portraits. «Un cabinet de curiosité » : excellente formule que celle utilisée par Sébastien Daucé à propos ce Ballet Royal réinventé. Comme l’on passe d’un objet précieux à un modeste coquillage dans celui-là, le spectacle témoigne d’une époustouflante variété. « Le « baroque » pour moi, c’est la démesure de la pulsion de la vie ! », affirme F. Lattuada ; et de mettre en œuvre cette conviction dans un spectacle éblouissant d’invention, continûment renouvelé, drôle, mystérieux, poétique, grave aussi parfois, toujours surprenant et charmeur pour l’œil autant que pour l’oreille.

© Ph. Delval

Portés par le geste et le sens de la pulsation d’un Sébastien Daucé qui joue, si l’on peut dire, de sa formation tel un peintre de sa palette de couleurs, le chanteurs – tous avec une prononciation impeccable – ne méritent qu’éloges, de la Giunone de feu d’Ilektra Platiopoulou au saisissant Grand Sacrificateur de Nicolas Brooymans, en passant par la sensuelle Vénus de Caroline Dangin-Bardot, la Mnémosyne raffinée de Judith Fa, le Sommeil d’un style exemplaire d’Etienne Bazola, la Déjanire engagée de Deborah Cachet, l’expressive Euridice de Caroline Weynants, les touchants Endimion de Davy Cornillot, Apollo de David Tricou et Ercole de Renaud Bres, sans oublier Violaine le Chenadec pour l’unes des trois – parfaites – Grâces françaises, les deux autres revenant à C. Weynants et Deborah Cachet dans un spectacle où plusieurs chanteurs doivent jongler entre divers rôles. Chœur exemplaire d’homogénéité et d’implication.
Et enfin n’oublions pas ... le Soleil ! ; le danseur Sean Patrick Mombruno (photo) dont la présence irradiante apporte énormément à la magie de ce Ballet Royal de la Nuit.

Le Théâtre de Caen, l’Opéra Royal de Versailles et l’Opéra de Dijon se sont couverts de gloire en permettant la renaissance du Ballet Royal de la Nuit, une production historique au plein sens du terme. Elle n’attend plus que les ors de Garnier ...

Alain Cochard

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Le Ballet Royal de la Nuit – Dijon, Auditorium, 3 décembre 2017

Photo (Sean Patrick Mombruno au centre) © Ph. Delval

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