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La vera constanza de Haydn à l’Opéra de Rouen - Un agréable divertissement - Compte-rendu

Longtemps boudés, les opéras de Haydn connaissent ces derniers temps un retour en grâce. Deux semaines après Orlando paladino au Théâtre du Châtelet, l’Opéra de Rouen présente un autre ouvrage du compositeur viennois, La vera constanza. Egalement écrit pour les fêtes d’Eszterháza, la première version, de 1779, a brûlé dans l’incendie du théâtre. La seconde a été créée six ans plus tard, en 1785.

Contrairement à l’opus héroïco-comique présenté à Paris, il s’agit ici d’un dramma giocoso. L’intrigue est, avouons-le, passablement emberlificotée, quoique ses ressorts tiennent en quelques ficelles : à l’issue d’une tempête, la baronne Irene échoit sur un rivage habité par le pêcheur Masino et sa sœur Rosina, secrètement mariée au comte Errico, le frère volage de l’aristocrate naufragée, et que cette dernière s’est mise en tête de lier à Villotto, un valet d’une bêtise et d’une laideur admirables, pour conjurer une mésalliance. A l’inverse d’un Mozart – Così fan tutte ou même L’Enlèvement au sérail – les quiproquos amoureux s’enchaînent de manière assez linéaire, et la satire sociale qui sous-tend le livret assez faible de Francesco Puttini paraît bien sage en comparaison de l’esprit de Da Ponte. Mais il a au moins l’avantage de ménager de beaux moments, en particulier les ensembles, dans une écriture qui hybride des à-coups Sturm und Drang et baroques à un lyrisme apollinien bien dans la veine du classicisme viennois.

La mise en scène d’Elio de Capitani, créée à l’Opéra royal de Wallonie et reprise ici par Clovis Bonnaud, se contente de caractériser les personnages, avec une sapidité certaine, quoique parfois exagérée. Rescapés des ondulations de tulle bleu pour toute mer en furie, la baronne et ses affidés entrent en scène luisant d’imperméables noirs – les méchants de l’histoire. La simplification ne fait d’ailleurs pas peur à Ferdinando Bruni, qui équipe Masino d’inamovibles cuissardes de pêcheur, quand Lisetta, la camériste, couettes rousses et dirndl, apparaît comme une synthèse improbable entre Yvette Horner et le folklore autrichien. Villoto quant à lui abuse un peu de la maladresse chorégraphique caricaturale. Les deux colonnes qui encadrent le plateau, terrasse et phare, puis troncs d’arbres, balisent efficacement l’espace théâtral. L’ensemble compose un spectacle honnête, parfois un peu pâle, à l’image de l’opéra de Haydn, toujours plaisant, et à la vis comica inconstante.

De la distribution réunie, et composée essentiellement de lauréats du concours de Trévise, dans un esprit de troupe, c’est la Rosine de Federica Carnevale qui ressort. De sa voix à la fois juvénile et corsée, elle sait déployer les affects de la fille du peuple avec une sensibilité appréciable, donnant à son personnage une épaisseur psychologique inattendue. Baryton charnu, le cubain Elier Muñoz fait une impression très favorable dans le rôle de son frère Masino. Susana Cordón revêt des atours aussi dramatiques qu’hystériques en baronne Irene, bien que son matériau ne suive pas toujours sans dommage dans les aigus où l’émission se resserre à l’excès. Soubrette née, Arianna Donadelli maintient Lisetta dans une fraîcheur acidulée plutôt sympathique. Sang-Jun Lee fait preuve d’une clarté qui ne manque pas de vigueur dans les répliques du marquis Ernesto, avec des aigus riches en harmoniques, lumineux et percutants. Villoto revient de droit à un baryton bouffe, idiomatiquement nasalisé par Gianluca Margheri – et affublé d’un Pinocchio bien pointu pour l’occasion. Seul Patrick Kabongo, artiste en résidence dans l’institution normande, déçoit quelque peu en comte Errico, avec une voix trop blanche, confinant parfois à la déclamation.

A l’inverse de Jean-Christophe Spinosi, Jérôme Corréas témoigne d’un véritable sens du style et d’une attention aux textures orchestrales. La ligne sait se déployer avec une sensualité douce et pastel, même si cette joliesse manque d’un peu de relief. Le positionnement de la fosse, inconsidérément bas pour ce répertoire, ne favorise guère, il est vrai, l’éclat des couleurs de l’orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie. On peut se consoler avec des récitatifs travaillés avec soin, et qui ne dédaignent pas des clins d’œil anachroniques avec des citations de La Marseillaise ou de l’ouverture de La gazza ladra de Rossini. Il est vrai que la verve de La vera constanza – et de la production lyrique de Haydn en général – est parfois regardée comme une anticipation de celle du maître de Pesaro. Sans s’y limiter, cette présente production en use avec habileté pour assurer un divertissement agréable, à défaut d’être une résurrection indispensable.

Gilles Charlassier

Haydn : La vera constanza
Rouen, Théâtre des Arts de Rouen
Le 8 avril 2012

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Photo : Jean Pouget
 

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