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La nuit d’un neurasthénique et Gianni Schichi à l’Opéra national de Montpellier – Doublé futé – Compte rendu

Depuis la saison dernière, l’Opéra de Montpellier a pris le parti présenter le Trittico de manière fragmentée. Outre de bonheur de le voir confié à Marie-Eve Signeyrole ; le projet offre l’intérêt de coupler chacun des volets de l’ensemble puccinien avec un rare ouvrage lyrique en un acte. Quelle que soit l’imagination du metteur en scène et du scénographe, donner l’ensemble du Trittico en une même soirée relève tout de même un peu du mariage de la carpe, du lapin et l’hippocampe ; le choix de l’institution languedocienne se défend pleinement.
Marie-Eve Signeyrole © DR

Après la réunion du Tabarro et du surréaliste Royal Palace de Kurt Weill (en création française) il y a un an pile (1), Gianni Schicchi occupe l’affiche et fournit prétexte à la création française de La nuit d’un neurasthénique de Nino Rota (1911-1979). Les réussites de l’Italien en matière de musique de film conduisent certains snobs à prendre de haut l’art d’un créateur dont l’activité ne se réduisait aucunement au cinéma. Musique de chambre, concertos, symphonies en témoignent, comme une importante production vocale, lyrique en particulier (12 opéras – à l’instar de Saint-Saëns, premier compositeur de musique de film de l’histoire ...). Après Aladin et la lampe merveilleuse à l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin en 2009 (1) et Un chapeau de paille d’Italie en 2012 à Angers-Nantes Opéra, un autre titre de Rota est présenté au public français : La nuit d’un neurasthénique (1959).

Opéra radiophonique – autre époque que celle où les radios publiques, d’Italie et d’ailleurs, suscitaient la composition de partitions lyriques ... –, l’ouvrage valut le Prix Italia à son auteur en 1959 et la création se tint l’année suivante sous la direction de ... Bruno Maderna ! Ce dernier « a dû beaucoup s’amuser à diriger ces pages pour la captation radiophonique, remarque Francesco Lombardi dans l’excellent programme de salle du spectacle montpelliérain, en pensant à toute la subversion de cette musique « entraînante », à des années-lumière de la légion de ses estimés collègues. Partitions dans lesquelles en dépit des abstractions, dissonances, difficultés de réception par le public prévalaient des conformismes bien plus contraignants et criants comparés aux libertés prises par Rota à chaque mesure. »

Argument simplissime : un vieux barbon neurasthénique et insomniaque a loué trois chambres contiguës dans un hôtel afin de s’assurer une nuit paisible. Période de foire commerciale dans la grande ville : face à la demande, les responsables de l’établissement s’autorisent à louer les deux chambres inoccupées, l’une à ce que l’on imagine être un représentant de commerce (Il commendatore), l’autre à un jeune couple chaud bouillant (Lei, Lui), prêt à improviser un thème et variations sur chacune des positions du kamasutra. Bref, comme on peut le pressentir la nuit de notre Nevrastenico va se révéler moins calme qu’il ne l’espérait...

La nuit d'un neurasthénique © Marc Ginot

Rota signe un dramma buffo savoureux, une musique rapide, suggestive (quarante-cinq minutes qui passent comme un souffle, ici sous la merveilleuse baguette du jeune Francesco Lanzillotta) et que l’équipe réunie à Montpellier sert au mieux. A sa tête, Bruno Praticò (photo), embonpoint généreux, impayable avec son filet-bonnet de nuit, campe un épatant Neurasthénique, désespéré de voir sa nuit ruinée, massacrée par ce voisinage inattendu. Il faut saluer aussi la belle prestation de Kevin Amiel (Il commandatore) qui transmet toute la solitude de son personnage, aussi bien que le couple (Davide Giusti et Giuliana Gianfaldoni) sa santé débordante. Merveilleux chanteur et comédien, sous ses faux airs de Roberto Begnini, le baryton-basse Bruno Taddia excelle en portiere.

Avec le fidèle Fabien Teigné à ses côtés pour les décors, Marie-Eve Signeyrole (mise en scène et conception vidéo) distille de manière sobre et efficace (ces gros plans mi-comiques mi-inquiétants sur le visage du Neurasthénique) l’essence à la fois dramatique et bouffe de l’argument. Grinçant humour qui - liberté prise avec le livret – débouche avec M.-E. Signeyrole sur le suicide du personnage principal (normalement, il se contente de s’effondrer sur son lit en lançant : « il m’ont tué ma nuit !).

Gianni Schicchi © Marc Ginot

Car il faut bien un mort au commencement de Gianni Schicchi... Ainsi le lien s’établit-il avec l’ouvrage de Puccini. Vrai nanan pour un metteur en scène que le dernier volet du Trittico ! Dès la loufoque première image des protagonistes, en plein brouillard, lampe-spéléo au front, pelle à la main, fouillant le sol d’un champ pour en extraire la dépouille de feu Buoso Donati, ficelée comme un paupiette, puis son testament, l’affaire paraît bien engagée ...

Spectacle délectable, où se lit la signature Signeyrole-Teigné (et Yashi pour les costumes !) mais sur un mode là encore plus sobre, plus dépouillé que ce que l’on a connu dans leurs réalisations antérieures. La vidéo est toujours présente et crée des moments de grande poésie, tels ces ballets d’oiseaux, en particulier celui sur le « Oh ! mio babbino caro » de Lauretta. Reste que l’on retient d’abord la dynamique et l’énergie qui se dégagent d’une proposition à la direction d’acteur finement réglée.

Bruno Taddia (Gianni Schicchi) © Marc Ginot

Le Gianni Schicchi de Bruno Taddia tranche par sa jeunesse sur ce que l’on a coutume de trouver dans cet emploi. Sur un mode très commedia dell’arte, l’artiste s’y montre parfait de drôlerie et de filouterie, entouré d'excellents collègues, à commencer par la fraîche Lauretta de Giuliana Gianfaldoni et le Rinuccio séducteur de Davide Giusti, la piquante Zita de Romina Tomasoni ou le Gherardo de Kevin Amiel. Le Spinelloccio de Jean-Claude Pacull Boixade, le notaire de Laurent Sérou et le Pinello de Xin Wang ne ratent pas leurs apparitions non plus, comme d’ailleurs toutes les autres pièces, aussi modestes soient leur rôles, de la géniale marqueterie puccinienne : Perrine Madœuf (Nella), Bruno Praticò (Betto), Julien Véronèse (Simone), Aimery Lefèvre (Marco), Julie Pasturaud (La Ciesca), Jean-Philippe Elleouet-Molina (Guccio) et Marceau Mesplé (Gherardino ; venu d’Opéra Junior, il alterne avec Robin Peyraud).

Quant à la fosse, superbe révélation avec Francesco Lanzillotta à la tête des musiciens l’Orchestre national  Montpellier Occitanie. Gageons que la carrière italienne déjà bien lancée du jeune chef s’étendra rapidement au-delà. Sa battue précise, vivante mais jamais sèche et son sens des timbres impriment l’élan et le relief requis à une production très chaleureusement reçue par le public.

Alain Cochard

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(1) www.concertclassic.com/article/royal-palace-et-il-tabarro-lopera-de-montpellier-le-cauchemar-de-michele-compte-rendu
 
(2) www.concertclassic.com/article/aladin-et-la-lampe-merveilleuse-par-lopera-studio-waut-koeken-maitre-es-feerie
 
Rota : La nuit d’un neurasthénique / Puccini : Gianni Schicchi  - Montpellier, Opéra Comédie, 9 juin, prochaines représentations les 13 & 15 juin 2017 /  http://www.opera-orchestre-montpellier.fr/

Photo © Marc Ginot

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