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La Nonne sanglante de Gounod à l’Opéra-Comique – Un chef-d’œuvre retrouvé – Compte-rendu

Moment attendu de la saison 2018 de l’Opéra-Comique la production de La Nonne sanglante de Charles Gounod, montée en coproduction avec le Palazzetto Bru Zane et inscrite dans le cours du 6ème Festival parisien de ce dernier suscitait beaucoup d’attentes. Elles sont comblées par un spectacle qui permet l’exhumation d’un ouvrage pas vu depuis sa création et son très bref séjour (11 représentations) sur la scène de l’Opéra en 1854.
Le succès avait pourtant été au rendez-vous, mais le Sieur Crosnier, qui venait de prendre la direction de la salle le Peletier, gêné par l’argument, qualifia l’ouvrage d’«ordure » et le fit disparaître illico de l’affiche.

Atmosphère moyenâgeuse en Bohème, deux clans ennemis (les Luddorf et les Moldaw), amours contrariées de Rodolphe de Luddorf et d’Agnès de Moldaw, promise à Théobald de Luddorf, frère aîné de Rodolphe. Apparition du spectre d'une Nonne sanglante qui aspire à épouser Rodolphe et le tiendra en sa malédiction, jusqu’à ce que la mort du père de Rodolphe –  le meurtrier de la Nonne – l’en délivre. Tous les ingrédients sont réunis pour un livret gothico-fantastique de Scribe (d’après le roman Le Moine de Lewis), à partir duquel Gounod – qui en est à son deuxième opéra – imagine une musique admirable d’efficacité dramatique. Pas un tunnel, pas un temps mort, mais une diversité d’inspiration (tant sur le plan vocal qu’orchestral) qui éblouissent de bout en bout. Comment se fait-il qu’une telle partition dorme depuis 164 ans ? Sa considérable difficulté pour les chanteurs et, en particulier, l’écrasant rôle principal de Rodolphe (tenu par Louis Gueymard à la création), qui requiert un ténor hors norme capable d’affronter les cinq actes que dure l’ouvrage. C’est Rodolphe qu’il faudrait le nommer, d’autant le rôle de la Nonne sanglante est peu développé – mais cela donne, on en conviendra, un titre autrement « vendeur ».

© Pierre Grosbois
 
A la mise en scène pour la résurrection de La Nonne sanglante, David Bobée (également aux décors avec Aurélie Lemaignen, les costumes étant signés Alain Blanchot, la vidéo José Gherrak) se régale dans ce bain de romantisme noir et signe un spectacle uniment sombre, comme sorti d’une BD fantastique. Des partitions faibles s’en seraient difficilement accommodées, mais celle de Gounod se révèle d’une telle variété que ce contexte visuel joue en sa faveur, ne soulignant que mieux le relief de la musique.
Un ténor hors norme ? On en tient un – un baryténor même – en la personne de l’Américain Michael Spyres, qui s’impose chaque jour peu plus comme l’un des meilleurs spécialistes de l’opéra romantique français. Pas une pointe d’accent chez un artiste qui avoue, avec désarmante modestie, prendre modèle sur Thill, Vanzo et André d’Arkor pour la prononciation – et peut en remontrer à pas mal de chanteurs français en la matière. Le triomphe qu’il remporte aux saluts est à la mesure d’une incarnation dont l’héroïsme, la puissance, le style et la générosité forcent l’admiration.

Rôle plus modeste, celui d’Agnès est parfaitement tenu par une Vannina Santoni ardente et d’une belle richesse de timbre. Qualités qui appartiennent aussi à la Nonne de Marion Lebègue. Au page Arthur, rôle travesti, Gounod a confié quelques airs de colorature méritant de figurer dans toutes les anthologies. Jodie Devos, rayonnante, habite son mutin personnage avec des moyens vocaux et un sens du théâtre franchement irrésistibles.
On n’ira pas chercher querelle à Jean Teitgen pour un trou de mémoire au début du I , il se rachète amplement par sa plénitude vocale et sa noblesse en Pierre l’Ermite. Annoncé souffrant, André Heyboer offre un Comte de Luddorf de belle tenue, et Luc Bertin-Hugault ne convainc pas moins en Baron de Moldaw. Enguerrand de Hys s’avère parfait en Fritz et en veilleur de nuit. On n'oublie pas Olivia Doray (Anna), Pierre-Antoine Chaumien (Arnold), Julien Neyer (Norberg) et Vincent Eveno (Théobald). Très bien préparé par Christophe Grapperon, le chœur Accentus s’intègre avec aisance au travail de David Bobée.
A la tête de son Insula Orchestra, Laurence Equilbey ne ménage ni son énergie, ni les décibels. Ce parti pris de contrastes accusés va de pair avec une direction très verticale et par trop assénée dans les moments les plus dramatiques – et dans la si sonore fosse de Favart ... – , efficace indéniablement, mais qui gagnerait à plus de soin envers les détails de la petite harmonie, à plus de souplesse dans les transitions aussi.

Gounod ne se résume pas à Faust et Roméo et Juliette. Courrez découvrir un spectacle qui tient l’affiche jusqu’au 14 juin – sans perdre de temps car le bouche à oreille ne saurait tarder à produire ses heureux effets sur la billetterie.
 
Alain Cochard

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Gounod : La Nonne sanglante – Paris, Opéra-Comique, 2 juin ; prochaines représentations les 4, 6, 8, 12 et 14 juin 2018 / www.opera-comique.com/

6ème Festival Bru Zane à Paris, jusqu'au 29 juin 2018 : parisfestival.bru-zane.com/
 
Photo © Pierre Grosbois

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