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La musique de chambre de Brahms aux Bouffes du Nord/la Belle Saison – Complicité et quintessence – Compte-rendu

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Il y a la musique de chambre qui brille de mille feux, réunissant sur une même affiche, le temps d’un concert, de grands noms ; ces rencontres sont des paris qui peuvent s’avérer magiques mais parfois aussi décevants. Mais il est une autre musique de chambre, qui brûle d’un autre feu, où chaque son est pensé, modelé, dirigé, mûri, transcendé. Il s’agit alors d’une aventure collective de plusieurs mois de répétitions et de travail acharné ; une forme d’immersion intransigeante pour des émotions partagées.
Inutile de préciser que c’est de cette musique de chambre-là qu’il s’agit ici et on a pu constater le succès de l’entreprise lors de deux des huit concerts du week-end consacré à l’intégrale de la musique de chambre de Brahms aux Bouffes du Nord – une initiative de La Belle Saison qui défend le répertoire chambriste avec passion dans toute la France (1).
 
Pas moins d’une trentaine d’œuvres, de la sonate au sextuor, en passant par la voix, toutes redoutablement exigeantes et hautement inspirées, ont été présentées depuis mars 2017 (à la Maladrerie Saint-Lazare de Beauvais) jusqu’au point d’orgue et "marathon" final au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’existe aucune version de l’intégralité de la musique de chambre de Brahms par les mêmes interprètes. Chaque concert est donc capté par B Records, label exclusivement dédié au live, afin de proposer d’ici 2020 (en huit CD), une intégrale, interprétée par la même troupe et captée sur le vif (les trois Quatuors pour piano et cordes sont sortis il y a quelques semaines, les Quintettes et Sextuors à cordes, non moins accomplis, sortent ce 22 juin).
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A l’origine de cette proposition un peu folle, trois complices de longue date, tous chambristes de haut vol, le violoniste Pierre Fouchenneret, le violoncelliste François Salque et le pianiste Eric Le Sage. Ils ont sollicité leurs amis du Quatuor Strada (Pierre Fouchenneret, Sarah Nemtanu, Lise Berthaud et François Salque), rejoints pour l’occasion par Adrien Boisseau (alto), Deborah Nemtanu (violon), Yan Levionnois (violoncelle), Florent Pujuila (clarinette), Joël Lasry (cor), Sarah Laulan (contralto) et Romain Descharmes (piano).
Cette troupe est animée par une même passion pour Brahms, un même désir de la partager. Ils chantent et respirent ensemble, s’écoutent, se regardent, et livrent à nos oreilles ébahies le résultat de leur long travail, où il n’est plus question que de musique et du bonheur qui en découle. Rare.
 
Le concert du dimanche matin débute par la Sonate pour violoncelle et piano, op. 99, avec François Salque et Romain Descharmes. On est entraîné dans l’élan brahmsien ; une magnifique fougue, un son généreux, l’équilibre et le dialogue entre les deux instruments forcent l'admiration. Le mouvement lent nous fait vibrer encore un peu plus, sans pathos, sans aucun phrasé ostentatoire. Silence parfait dans la salle : la profondeur des climats invite à la concentration.

Le Quatuor Strada enchaîne avec le 1er Quatuor à cordes : le son est plein et chaud, dans les attaques et les accents complexes de l’Allegro, dans la tendresse et l’intensité expressive de la Romanze, ou encore dans le final virtuose. Aucun problème d’endurance pour des archets qui s’attaquent en deuxième partie au Quintette n°2, op. 111, avec le renfort des excellents Shuichi Okada et Adrien Boisseau : un engagement, une assurance et des intentions expressives parfaitement claires nous tiennent en haleine – Adagio en lévitation ...

On se demande dans quel état on va retrouver la « troupe » le lendemain soir, pour le dernier des huit concerts, composé du Quatuor à cordes n° 2, du Quintette à cordes n°1 et du fameux – et redoutable – Quatuor pour piano et cordes n°2.
Les traits sont tirés mais les regards toujours vifs, brillants, complices. C’est reparti ! Le plaisir rejaillit de chaque note, la symbiose entre les musiciens est immédiate. On touche au sommet de l’œuvre de Brahms, d’une sensibilité profonde et tourmentée. La troupe est en totale communion, comme si les archets ne faisaient qu’un.
Quelques réserves seulement sur l’Opus 26, non pour les archets, dont le sortilège des timbres demeure toujours aussi captivant, mais du côté du piano d’Eric Le Sage, que l’on trouve un peu distant par rapport à la symbiose de ses partenaires, et parfois un peu confus pour cause d’excès de pédale. Menus détails par rapport à l’engagement des artistes, à la beauté et à la poésie de la musique.
Défendue ainsi, la musique de chambre a de belles heures devant elle – La Belle Saison aussi !
 
Gaëlle Le Dantec

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(1) La Belle Saison : www.concertclassic.com/article/la-musique-de-chambre-de-brahms-la-belle-saison-la-jeune-garde-pour-une-integrale
 
Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, les 10 et 11 juin 2018
 
Intégrale de la Musique de chambre de Brahms -
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris, 8 concerts du 8 au 11 juin 2018
 
Eric Le Sage, piano
Romain Descharmes, piano
 
Quatuor Strada :
Pierre Fouchenneret, violon
Sarah Nemtanu, violon
Lise Berthaud, alto
François Salque, violoncelle
 
Deborah Nemtanu, violon
Shuichi Okada, violon
Adrien Boisseau, alto
Yan Levionnois, violoncelle
Florent Pujuila, clarinette
Joël Lasry, cor
Sarah Laulan, contralto
 
Pour en savoir plus sur l’intégrale Brahms de B Records : www.integralebrahms.com/
 
Photos (réalisées à la Maladrerie Saint-Lazare de Beauvais) © DR
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