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La Jacquerie de Lalo (et Coquard) au Festival de Radio France et de Montpellier – Urgence dramatique – Compte-rendu

Deux ans après La Vivandière de Benjamin Godard, le Festival de Radio France et de Montpellier et le Palazzetto Bru Zane ont à nouveau collaboré pour faire revivre une partition française totalement oubliée : La Jacquerie d’Edouard Lalo. Mise en chantier en 1889, un an après le succès parisien du Roi d’Ys, sur un livret du très demandé Edouard Blau (manquant de temps, ce dernier fit appel à Simone Arnaud pour le 4ème acte) la dernière réalisation lyrique de l’auteur de Namouna demeurait largement inachevée au moment de sa disparition soudaine en avril 1892. Arthur Coquard (1846-1910) fut chargé par les héritiers de Lalo de terminer La Jacquerie.

Intervention d’importance que celle de l’ancien élève de César Franck puisque, comme le remarque Alexandre Dratwicki directeur scientifique du Palazetto Bru Zane, « on ne saura jamais vraiment quelle part Coquart prit réellement à la structuration de l’opéra, mais il est certain qu’une grande partie de l’œuvre est le fruit de son travail : plus de trois actes sur quatre.» L’ouvrage fut en tout cas très bien accueilli lors sa création à Monte-Carlo le 9 mars 1895 et Paris n’attendit guère pour le découvrir puisqu’il fut donné dès le 23 décembre à l’Opéra-Comique.
 
Inspirée de la pièce de Mérimée La Jacquerie, scènes féodales, la partition est certes héritière du grand opéra romantique par certains aspects spectaculaires, mais innove toutefois par son urgence dramatique, sa concision. Deux heures suffisent pour plier les quatre actes d’un drame où, en contrepoint de la révolte paysanne et des mouvements de foule qu’elle suscite, les sentiments de la fermière Jeanne, de Robert (fils de Jeanne, il a été désigné par les paysans pour mener la révolte) et de Blanche, (fille du comte de Sainte-Croix, elle sauva Robert au cours d’une émeute à Paris et celui-ci lui avoue son amour au dernier acte) nourrissent les moments les plus poignants de l’œuvre.
 
Quelque notes de l’orchestre au commencement de l’Acte I (où  cours duquel Lalo reprend plusieurs thèmes issus de Fiesque (1), sa première tentative lyrique) et le chœur intervient immédiatement.  D’emblée on est plongé, et ce jusqu’au terme du II, dans un musique puissante et continûment agissante. Les actes III et IV, plus aérés, apportent un contraste bienvenu, avec de beaux passages symphoniques et des moments plus intimistes.

Patrick Davin © Marc Ginot
 
Mais de bout en bout, on se laisse séduire par l’énergie et le feu dramatique d’une soirée (dédiée par le festival à la mémoire du baryton Franck Ferrari) conduite avec passion et style par Patrick Davin à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Radio France particulièrement investi. Préparé par Michel Tranchant, le Chœur de Radio France, qui a fort à faire tout au long de l’œuvre, se révèle lui aussi pleinement à la hauteur de l’enjeu.
 

Nora Gubisch (g.) et Véronique Gens (d.) © Marc Ginot
 
Servie par la richesse de son personnage, Nora Gubisch campe une Jeanne d’une profonde humanité (magnifique duo avec Blanche au dernier acte !). Elle s’apparie idéalement à Véronique Gens (Blanche) dont l’incarnation, aussi dominée vocalement qu’intensément vécue, emporte l’adhésion. Côté messieurs, Charles Castronovo se confronte au rôle redoutable de Robert avec toute l’ardeur requise, jusqu’au fatal coup de dague de Guillaume. Bûcheron et acteur important de la révolte des paysans, ce dernier est incarné par le baryton Boris Pinkhasovich dont l’autorité, la virilité, la netteté de l’émission font merveille – et auront été une révélation pour beaucoup d’auditeurs. Initialement prévu en Comte de Sainte-Croix, Christophoros Stamboglis, souffrant, était remplacé par Jean-Sébastien Bou. Une semaine après son remarquable Prince de Mantoue dans le Fantasio d’Offenbach, l’artiste se glisse dans la peau de ce nouveau personnage avec une justesse de ton et une force de conviction que l’on n’admire que plus dans ces conditions.
 
Les belles prestations de Patrick Bolleire (Le Sénéchal) et d’Enguerrand de Hys (Le baron de Savigny) achèvent de faire de cette Jacquerie monpelliéraine une pleine réussite. Voilà qui augure du meilleur pour l’enregistrement réalisé à cette occasion et dont la parution dans la collection « Opéra français » du Palazzetto Bru Zane est annoncée pour le début de l’année prochaine, en amont de la reprise de l’ouvrage à l’Auditorium de Radio France le 11 mars prochain, avec une distribution différente hormis pour les deux rôles féminins.(2)
 
Alain Cochard
 

  1. Ouvrage donné au Festival de Montpellier en 2006
  2. Une saison durant laquelle le Palazzetto fera également honneur à Lalo avec un Festival « Edouard Lalo entre folklore et wagnérisme (Venise, du 26 septembre au 10 novembre 2015) / www.bru-zane.com

Lalo/Coquart : La Jacquerie (version de concert) – Montpellier, Le Corum-Opéra Berlioz, 24 juillet 2015

Photo (de g à dr.) : Charles Castronovo, Boris Pinkhasovich et Jean-Sébastien Bou © Marc Ginot

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