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La Finta Pazza de Francesco Sacrati renaît à l’Opéra de Dijon – L’opéra à la source – Compte-rendu

La recréation mondiale de La Finta Pazza de Sacrati au Grand Théâtre de Dijon est un événement lyrique aussi attendu que l’Orfeo de Luigi Rossi, monté à Nancy en 2016. Les deux œuvres partagent une dimension historique importante. L’opéra de Sacrati, créé à Venise en 1641, le fut à Paris en 1645, sur invitation de Mazarin. Il connut un succès considérable. Quelques années avant Rossi, Francesco Sacrati (1605-1650) a été l’ambassadeur de l’opéra italien à la cour de France. Cette Fausse Folle amusa Anne d’Autriche et éblouit l’enfant roi, insufflant à Louis XIV une passion dont on célèbre cette année le 350ème anniversaire : l’Opéra de Paris.
 
En 2019, faire de l’archéologie musicale ne suffit cependant plus. Quarante ans de redécouvertes ont livré du bon grain et de l’ivraie. Allait-on découvrir un émule de Cavalli ? Ou bien parcourir des plaines de recitar cantando parsemées de rares collines d’ariosos ? La facture de Sacrati est originale. On la sent née dans l’urgence du spectacle vivant, de la scène et des machines. La partition nerveuse, sans temps morts, privilégie les tonalités majeures. Elle abonde déjà en en duos, trios et quatuors vocaux. On retient la canzonetta a trois « Il canto m’alletta », une parmi les pages mémorables de la première partie. La restitution opérée par Leonardo García Alarcon fait entendre l’opéra vénitien dans sa première expansion. Le genre s’animera encore avec Sartorio, à la génération suivante. Les émotions de Sacrati ne sont plus celles de Monteverdi. Pas de lamento pathétique ni de scène tragique ; les instants d’égarement de Deidamia, qui sont aussi les premières intrusions de la folie à l’opéra, ne délivrent pas la force émotionnelle de Pénélope ou d’Octavie. Sans doute l’étiage du rire, voulu par l’histoire, reste-t-il trop haut.

© Gille Abegg — Opéra de Dijon
 
Pour redonner à l’opéra du 17ème siècle la lisibilité et la verve nécessaire, mieux vaut un homme de théâtre qu’un metteur en image. Jean-Yves Ruf ne laisse guère l’esprit somnoler. La preuve en a déjà été faite à Aix-en-Provence, avec la production, devenue classique, de l’Elena de Cavalli (2016). Insister sur la dimension shakespearienne de l’opéra vénitien, comme l’avaient fait Wernicke et Jacobs dans la légendaire Calisto, assure la réussite de cette Finta Pazza. Dans un dispositif a minima, les costumes renvoient à une Grèce byronienne, en guêtres, caftans et brandebourgs, mais où les dieux volètent toujours dans les airs. Un zeste d’élégance qui nous change des costumes Celio de l’opéra povera. Des strates de rideaux dessinent les espaces à jouer. Des vagues de soie ballotent Diomède et Ulysse. Le gynécée de Deidamia devient, dans les décors de Laure Pichat et les lumières de Christian Dubet, un Ingres oriental.
 
L’humain virevolte à l’avant-scène, de l’espace ayant été dégagé sur la fosse d’orchestre. Deidamia court dans le théâtre. Sa Nourrice, l’excellent Marcel Beekman, viendra, en seconde partie, jouer la chauffeuse de salle. Le ténor hollandais avait été Platée pour Laurent Pelly, à l’Opéra Comique en 2014. Il sera, ce printemps au Théâtre des Champs-Elysées, le maître à danser d’Ariadne auf Naxos. Sa présence savoureuse, ses beaux aigus rivalisent avec l’Eunuque de Kacper Szelążek dont la coupe léonine et le vêtement semblent sortir de Dallas. Un rôle à ce point joué par le contre-ténor que l’on reste longtemps dubitatif quant au genre d’un timbre si équivoque. L’Ulisse de Carlo Vistoli reste en deçà, projection et puissance moindres.

© Gilles Abegg — Opéra de Dijon
 
La Finta Pazza, série d’aventures peu tragiques et souvent comiques, avec comme protagoniste vedette Achille travesti, ne réclame pas moins de huit chanteurs sur le plateau. Un baryton, un ténor et une basse forment le bataillon mâle. Après un démarrage hésitant, le roi Licomede d’Alejandro Meerapfel dispense de jolis graves. Le Diomède du ténor Valerio Contaldo et le Capitaine de Salvo Vitale sont plus en retrait malgré un indéniable abattage scénique.
 
Marina Flores incarne Deidamia. Elle est la véritable protagoniste de l’histoire. Sa silhouette fine et son investissement théâtral incarnent cette folle baroque manigançant, sous le masque d’une fausse hystérie, ses noces avec Achille. Tout cela avant le départ pour Troie. On peut ne pas être sensible à un chant certes habité, mais trop tendu pour laisser la rondeur s’installer.
 
Achille est Filippo Mineccia, l’un des contre-ténors du moment. Il a pour lui un physique de diablotin, un timbre enjôleur et canaille, et surtout une projection puissante, de celle qui signe le contre-ténor de scène, Bejun Mehta ou Max Emanuel Cencic. Dans la fosse minuscule par rapport à l’Auditorium, la Cappella Mediterranea est en exergue. L’acoustique du théâtre à l’italienne offre un écrin pour chaque instrument. Leonardo Garcia Alarcon a le baroque jazz. La partition s’agrémente de détails rythmiques du meilleur aloi, comme acte 2 scène IV, durant l’échange entre Deidamia et sa nourrice. Le son des quatorze instruments, paraît cependant sec. Ce moelleux, ce confortable qui avait marqué le Prometeo de Draghi (par les mêmes, à Dijon, la saison dernière) ont disparu. Une sensation sans doute due au sevrage acoustique de l’Auditorium.
Pour son indéniable saveur, pour la mémoire de l’opéra, pour revoir le théâtre subtil de Jean-Yves Ruf, cette Finta Pazza mérite longue tournée et belle captation.
 
Vincent Borel

Sacrati : La Finta Pazza – Dijon, Grand Théâtre, 5 février ; prochaines représentations les 7, 8 & 10 février 2019 / www.opera-dijon.fr/fr/spectacle/la-finta-pazza/567/ Reprise à l’Opéra Royal de Versailles les 16 et 17 mars 2019.
 
Photo © Gilles Abegg – Opéra de Dijon

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