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La Didone de Cavalli au TCE - Une perle retrouvée - Compte-rendu

On ne savait plus grand-chose de La Didone de Cavalli – sinon par un enregistrement et surtout un arrangement signé Thomas Hengelbrock publié en 1998 chez Deutsche Harmonia Mundi où rugissait la Didon d’Yvonne Kenny. Difficile d’appréhender l’œuvre qui se scinde quasiment en deux univers. Un stupéfiant premier acte dans les ruines de Troie encore fumantes, d’un modernisme théâtral à couper le souffle, d’une inspiration musicale qui ne se relâche jamais avec toujours un sens du timing dans l’action dramatique dont le livret de Busenello est autant responsable que la musique inspirée qu’y a couchée Cavalli. Puis les actes de Carthage où les arcanes du théâtre vénitien mêlant drame et buffo reprennent le premier plan. Impossible ne pas penser à la dernière scène du Couronnement de Poppée en entendant le duo final de Didon et de Iarbas, le roi des Gétules. Oui, car malgré le départ d’Enée, Didon ne se tue point. Cette licence ne choque pas et rééquilibre le destin des deux royaumes : que vive Carthage puisque Rome vivra.

On admire l’œuvre, son théâtre tour à tour subtil et détonnant, mêlant dieux et mortels, comme sa superbe musique ; on la tient, maintenant qu’on l’a vue, pour une des perles absolues parmi les ouvrages de Cavalli, on espère que le disque fixera le travail remarquable de William Christie et de sa troupe, mais on voudrait lui adresser un bémol : son orchestre senti mais trop mince n’est pas assez plein, et souvent pas assez exubérant pour rendre compte de la force d’un tel ouvrage ; dommage car le geste y est sinon le nombre de loin insuffisant pour se faire entendre dans la coupe du Théâtre des Champs-Élysées.

Plateau dominé de très haut par l’Enée de Kresimir Spicer, ténor qui monte, et dont la voix aux harmoniques saturées, à l’élan expressif clouant, se double d’un véritable artiste : les mots chez lui ont des couleurs et du sens. Formidable « triple bill » (Ascanio, Amore, Cacciatore) de Damien Guillon qui chante de la fosse doublant Terry Wey, indisposé, grandiose Anchise de Nicolas Rivenq (ce timbre qui mort dans les mots, cette ligne relevée et expressive), ténors percutants, sopranos un peu plus dépareillées, sinon Claire Debono.

Comme on le prévoyait la Didon d’Anna Bonitatibus est impérieuse, de présence physique, certes, mais d’abord de voix : timbre feulé, couleurs vibrantes, ardeur dramatique, elle finit pas nous rappeler la foudre et l’or d’une Tatiana Troyanos jusque parfois dans quelques faiblesses d’intonation. Le compliment n’est pas mince mais on l’assume.

Clément Hervieu-Léger réussit l’acte troyen, osant une fébrilité dans la direction d’acteur qui rappelle son maître, Patrice Chéreau, et trouve les clefs des tableaux de Carthage, respectant l’œuvre et le public – on n’en revient pas qu’une partie de la salle ait songé à le huer un instant – le décors de Troie est plus inspiré que celui de Carthage, et gagnerait de toute façon à être débarrassé de quelques verrues modernes incongrues, ici des palettes de chantier, là un échafaudage en alu avec tulle.
Mais baste, c’est l’œuvre qu’il vous faut découvrir, d’autant que cette production la sert avec art.

Jean-Charles Hoffelé

Francesco Cavalli : La Didone - Paris, Théâtre des Champs-Elysées le 12 avril, prochaines représentations les 14, 16, 18 et 20 avril 2012

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Photo : Pierre Grosbois
 

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