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La Damnation de Faust à l’Opéra de Lyon - Le Diable est dans les détails – Compte-rendu

 « Je ne sais rien de mieux, les dimanches et fêtes, que de parler de guerres et de combats, pendant que, bien loin, dans la Turquie, les peuples s’assomment entre eux. On est à la fenêtre, on prend son petit verre, et l’on voit la rivière se barioler de bâtiments de toutes couleurs ; le soir, on rentre gaiement chez soi, en bénissant la paix et le temps de paix dont nous jouissons. »

Voici l’exorde que David Marton fait déclamer au chœur avant d’ouvrir le livre d’images et de musiques tiré par Berlioz du Faust de Goethe dans la fameuse traduction de Gérard de Nerval. Prise dans la Scène devant la porte de la ville de la Première Partie du Premier Faust, cette déclaration d’égoïsme jouissif déclamée par un Bourgeois voudrait gifler le spectateur ; le décor met les points sur les i : un pont d’autoroute bombardé, un peuple hagard qui bientôt va tuer son maître – ce pauvre Brander campé avec faconde par René Schirrer – un mystérieux cheval mangeant son foin, on est aujourd’hui, Berlioz et Goethe vous parlent des réfugiés et l’action se situe probablement en Syrie et non en Turquie. Revoilà les Huit Scènes habillées en politique. Pourquoi pas mais surtout pourquoi ?

Si l’ouvrage de Berlioz se fracasse plus d’une fois contre le texte de Goethe c’est qu’il n’est que très peu théâtre, encore moins que son modèle littéraire, ce théâtre-univers dont provient David Marton et qui l’autorise à mettre en pièces la musique pour la tordre à la mesure de ses idées. Cela fonctionnait assez bien dans l’Orphée de Gluck, revisité avec des tendresses, cela aurait dû fulgurer dans une œuvre aussi aisément détournable que cette Damnation.

© Bertrand Stofleth

Mais non, le spectacle se délite, épisodique, prisonnier en fait de la structure éparpillée de l’œuvre.  Et le sens que veut y mettre le metteur en scène n’entre jamais dans la musique de Berlioz qu’il n’hésite pas  à triturer, confiant par exemple le premier « air » de Méphistophélès au chœur et non au baryton, le tout pour créer un effet inutile, les chanteurs se dispersant afin de laisser apparaître Laurent Naouri. Certes, le Diable est nombreux, mais cela n’est ni nouveau, ni ici particulièrement signifiant.

Des enfants charmants à la place de soldats inquiétants, des interpolations reprenant des extraits du Faust  - dont une filmée en gros plan dans une voiture où soudain le dialogue entre le savant et le diable initialement situé dans le cabinet d’étude de Faust vous prend un petit air Ramuz, comme si L’Histoire du Soldat s’invitait malgré elle, au point que je n’avais pas reconnu l’original  - la Place des Terreaux en vidéo - tout cela divertit ou agace mais pour ceux qui ont gardé dans l’œil le spectacle radical d’Olivier Py, dont la suractivité éblouissante se calait sur la musique, char d’assaut et crucifixion compris, c’est le langage de David Marton qui le trahit : des idées, mais sans proposition, des phrases mais sans syntaxe : le vocabulaire lui manque, remplacé par une sorte de maniérisme épuisant dicté par une transposition artificielle.

Dommage, car de la fosse Kazushi Ono, qui a connu l’ancienne proposition de Louis Erlo, dirige l’orchestre de Berlioz ébarbé et grinçant, preste, rapace, Laurent Naouri campe un Diable patelin et dangereux, où la parole importe plus que le chant, Charles Workman soigne son style et son français, allant aux aigus de sa voix droite sans peur mais sans souplesse, Kate Aldrich émeut pour une Marguerite absolument perdue, deux des vrais beaux instants de la soirée où soudain seule la musique importait. Vainqueur de cette entreprise de démolition, le chœur, admirable de justesse et de mordant, ce chœur dont David Marton a fait le vrai protagoniste de La Damnation : probablement le seul point d’accord auquel Berlioz aurait consenti.

Jean-Charles Hoffelé

Berlioz : La Damnation de Faust – Lyon, Opéra, 9 octobre, prochaines représentations les 11, 13, 15, 20 et 22 octobre 2015 / www.opera-lyon.com

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