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La Clemenza di Tito de Mozart au Théâtre des Champs-Elysées - Le couronnement de Rhorer – Compte-rendu

Depuis le bouleversant Idomeneo donné à Beaune en 2006, on sait que Jérémie Rhorer est LE chef mozartien de la décennie (pour le moins !). Même si on lui en veut un peu, tant ses lectures défient l’analyse par leur fraîcheur, leur immédiate justesse. Non que son Mozart soit d’une pureté marmoréenne, d’une maniaque netteté. La Clemenza de Rhorer, ce n’est pas le Parthénon étincelant de blancheur et d’angles aigus mais le joyeux temple polychrome d’une vivante Antiquité. Ici lignes, densités, rythmes s’ajustent souplement, se recomposent constamment, à l’image d’une Ouverture guère léchée, pas du tout « donnée d’avance », mais qui, peu à peu, prend organiquement forme, tout en restant éloquente à chaque mesure. Pas de cette éloquence forcée, didactique, non plus, qui nous vient de l’Est ou d’Allemagne : plutôt une douce persuasion jouant sur les couleurs et la dynamique.
 

© DR

Aussi, sans pour autant être agressé par les « intentions » ou une « vérité » assénée, on redécouvre tout sans cesse, à l’image du sublime duettino d’Annio et de Servilia, que l’on croyait connaître sur le bout des doigts et dont on discerne, émerveillé, les alternance de moelleux, d’infinie tristesse, de sensualité et de candeur. Entraîné, encouragé plutôt que subjugué par son chef, Le Cercle de l’Harmonie se répand en phrasés d’une charnelle évidence : on a rarement entendu clarinette plus déchirante que celle qui accompagne ce soir « Parto, ma tu ben mio » !
Egalement envoûtée, la distribution brille presque au même niveau.
 

© Vincent Pontet

Même si elle « truque » un peu aux deux bouts de son registre (voulu volontairement incommode par un Mozart qui n’aimait pas sa diva), Karina Gauvin campe une impériale Vitellia, à la ligne d’une rare densité, au timbre d’une affolante beauté, avec ce sens presque gourmand de l’élocution qui la caractérise - on comprend que Sesto ne résiste guère ! Dans ce dernier rôle, la jeune mezzo américaine Kate Lindsey transporte le public par une émission pure et vibrante, un chant parfois un peu métallique et pas assez sombré (les vocalises ne sont pas encore son fort non plus), mais toujours poignant. Servilia de grand luxe de la délicieuse Julie Fuchs, Annius chaleureux mais à la diction embarrassée de Julie Boulianne, magnifique Publio barytonant de Robert Gleadow.
 Reste Titus, auquel Kurt Streit prête une projection tranchante et un sens des mots affuté (ainsi qu’un parfaite virtuosité qui lui permet de triompher de « Se all’impero »), mais aussi une certaine sècheresse, une certaine « étroitesse » du spectre vocal qui le rendent moins convaincant dans l’épanchement de « Ah, se fosse intorno al trono ».
 
Pour sa troisième incursion dans le domaine lyrique, Denis Podalydès ne convainc qu’à moitié. On le sent trop intimidé par Mozart-avec-un-grand-M ou Titus-avec-un-grand-T, et les notes d’intention reproduites par le programme le montrent s’égarant dans une « intellectualisation » très « Comédie française » qui, loin de nourrir son inventivité, l’inhibe. Evidemment, il ne résiste pas à la tentation de faire précéder l’opéra d’un extrait de la Bérénice de Racine – on s’y attendait, c’est bateau, bobo, banal et raté, la comédienne peinant à se faire entendre en l’absence de sonorisation.
 
La mise en scène est censée nous transporter « dans le lobby d’un grand hôtel, durant les années 30 ». Pourquoi pas - mais aussi pourquoi ? Et puis ce grand hôtel ressemble au Jockey Club comme aux couloirs de l’Elysée, et puis ces années 30 pourraient être les années 60. En fait, on se croit souvent dans Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier, avec ses courtisans affairés (les protagonistes ne sont jamais vraiment seuls), ses portes qui claquent, ses documents passant de main en main – pas de vrai temps mort, pas de contresens mais guère d’incarnation ni de ressenti non plus (l’ « incendie » de la fin de l’Acte I devient plus anecdotique que cathartique). La seule chose que Podalydès maîtrise, ce sont les rapports de proximité entre les personnages : faut-il se toucher, se frôler ou pas ? S’approcher, reculer, se regarder, faire un pas en avant ou en arrière ? Mais, pour la scène lyrique, ce trait est trop subtil, trop ténu…
 
Ajoutons que, si Christian Lacroix réussit magnifiquement les costumes masculins, il sabote celui des dames (le jaune d’œuf de Servilia, l’accoutrement très mémère d’une Vittelia à la gestuelle il est vrai guère aristocratique).
Bref : mise en images feutrée d’une vivifiante lecture musicale.

Olivier Rouvière
 
Mozart : La Clemenza di Tito – Paris, Théâtre des Champs-Elysées 10 décembre ; prochaines représentations les 12, 14, 16, 18 décembre 2014.

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Photo © Vincent Pontet

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