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La Chronique de Jacques Doucelin - L'écho des régions

Le moindre intérêt de ces chroniques n'est pas l'échange qu'elles suscitent avec leurs lecteurs. La dernière en date consacrée à la disparition progressive du « mot hideux de province » , pour paraphraser le premier Ministre de la Culture André Malraux, au bénéfice de l'essor de la nouvelle entité locale qu'est la région nous a valu un courrier dont l'intérêt justifie qu'on y revienne ici même. Car ces réactions sont constructives et éclairent l'économie du spectacle vivant d'un jour intéressant car elles émanent d'observateurs particulièrement bien placés.

Je passerai par modestie sur le message très chaleureux d'Isabelle Masset qui appartient à l'équipe de direction de Thierry Fouquet à l'Opéra National de Bordeaux. Du côté de la Canebière, notre confrère du magazine Danser, Philippe Verrièle, remarque que tout en « mettant le doigt sur quelques dérives de notre système culturel et musical hexagonal » , je me serais « laissé aussi emporter au point de déraper sérieusement » . Ce qui lui est resté en travers de la gorge, c'est mon constat que « Marseille aurait préféré la danse à la musique » . Aveuglé par son chauvinisme chorégraphique, M. Verrièle ne m'a pas compris, car c'est bien entendu à la Compagnie nationale du Ballet Roland Petit, qui fait les beaux soirs de Marseille depuis le début des années 70, que je pensais. Bien entendu pas au ballet croupion de l'Opéra, qui ne donne même plus de spectacles ! Ce privilège du Ballet Roland Petit me paraît, en effet, émaner d'un choix de politique culturelle dans la mesure où le refus de donner parallèlement à l'orchestre de l'Opéra local les moyens qui lui permettraient d'atteindre le niveau correspondant à la deuxième ville de France, crée un fâcheux déséquilibre entre les deux institutions.

Philippe Verrièle vole alors au secours de l'ancien ballet attaché à l'Opéra de Marseille « qui eut son heure de gloire dans les années 60 quand Joseph Lazzarini présidait à ses destinées » , avoue-t-il. Notre confrère devrait s'en prendre aux édiles phocéens passés et présents plutôt qu'à moi ! D'autant que le temps est peut-être venu avec la perspective de voir Marseille « capitale européenne de la culture » en 2012, pour les deux entités, Ballet Roland Petit et Opéra de Marseille, de joindre leurs efforts et pourquoi pas leurs destinées. Pour appuyer sa démonstration, notre confrère ne cite pas moins de six capitales de région (Toulouse, Lyon, Bordeaux, Lille, Strasbourg et Nancy) dont les Opéras comptent en leur sein d'excellents ballets. Ce qui prouve justement que Marseille constitue bien une regrettable exception dans l'Hexagone. Mais inutile, de grâce, de réveiller les antiques querelles entre les partisans des entrechats et ceux du contre-ut sous prétexte que la soirée de ballet coûte moins cher que la soirée lyrique...

Jean-Charles Thoin est lui un mélomane de la banlieue ouest de Paris qui écrit: « Oui, on cherche à PARIS des concerts de qualité à prix abordables, des opéras également. Au prix du billet, il faut ajouter pour le banlieusard le prix du parc de stationnement, indispensable quand on connaît la tolérance actuelle de notre préfecture et de notre mairie. Rien ou presque d'abordable et populaire dans la banlieue ouest où le niveau culturel doit être assez correct en principe » Voilà qui est frappé au coin du bon sens. La proximité de la capitale n'explique pas seule, en effet, la désertification de cette banlieue.

Philippe Kahn, artiste lyrique, propose une réflexion inverse en s'appuyant sur son expérience dans différents pays d'Europe. D'abord, il pense que les « grands medias parisiens » n'ont toujours pas vraiment renoncé à leurs préjugés envers la province. Mais son désaccord porte sur « le prix des manifestations culturelles en France. » Il écrit: « Confronté aux auto-productions ou aux cartes blanches offertes à des artistes par certaines municipalités, le système français du duo subventions-assedic entraîne de facto des prix de places très bas ou souvent la gratuité... La conséquence de ces pratiques fait accroire au public que la culture est gratuite, qu'elle ne coûte rien. » D'où sa surprise devant le prix des places affichés à la cathédrale de Lausanne, « de 30 à 60 euros là où en France vous auriez payé 10 à 15 euros pour une Passion selon Saint Jean de Bach donnée par un mélange de professionnels et d'amateurs... Pour un Suisse, la culture a un coût et ce coût est payé par le spectateur : c'est normal et toutes les catégories sociales vont au concert, à l'opéra, au théâtre. »

Il serait facile d'invoquer le miracle du franc suisse ou le niveau de vie élevé du coffre-fort du monde... D'ailleurs, M. Kahn corrige de lui-même : « Attention, ne croyez pas pour autant que la Ville de Lausanne et le Canton de Vaud ne subventionnent pas l'Opéra ou l'Orchestre local. » Tout est dit ! L'expérience allemande que notre chanteur cite dans la foulée n'est pas inintéressante en tant qu'exemple de vraie démocratisation de l'art lyrique: « Un billet à l'Opéra de toute ville allemande est très bon marché. Mais en contrepartie, le théâtre joue 360 fois par an, soit plus d'une fois par jour ! ... tout cela sans une pléthore de personnel technique comme on en voit en France dans certains théâtres qui n'affichent que 30 représentations par an (nous ne citerons pas de nom !) Oui, le spectateur allemand paye un prix très modéré, mais outre le fait que son théâtre est bien géré, que tout le monde y va (souvent en sortant du boulot), le citoyen y est proche de ses chanteurs, de ses comédiens de ses danseurs qui étant en troupe ont un statut social proche de celui d'une équipe de foot: tout le monde les connaît, les suit d'un spectacle à l'autre, et tout cela fonctionne comme une grande famille... En conclusion, le système français ne réunit aucun des avantages précités: ni proche de son théâtre et de ses artistes, ni payant la culture à son vrai coût ! » Jugement sévère, mais à méditer.

Le seul vrai mécontent, pour n'avoir pas été cité, c'est René Koering, proconsul musical de Narbonnaise (pour parler comme son patron Georges Frêche) depuis des lustres. Cet ancien directeur de la musique à Radio France, fondateur du Festival de Montpellier et de Radio France, règne toujours à 68 ans sur la vie musicale et lyrique montpelliéraine. Comme le prouve sa programmation hors des sentiers battus, c'est un original qui ne manque pas de « culot » pour reprendre une expression de son courrier électronique. Aussi bien ce cavalier seul n'entre-t-il dans aucune catégorie. L'OPA que ses fonctions à Radio France lui ont permis de lancer sur ses orchestres comme sur ses antennes pour le compte de la capitale de l'Hérault lui a donné l'occasion d'y réaliser ses rêves musicaux les plus fous : faire revivre de très nombreuses pages lyriques oubliées au fil des siècles. En contrepoint au Festival d'Aix et aux Chorégies d'Orange, René Koering est ainsi allé crânement à la pêche dans ce que le grand critique du Monde Jacques Lonchampt appelait joliment « les vieilles godasses qui peuplent des bras morts de la musique »...

Durant le Festival, une centaine de concerts sont retransmis sur France Musique qui prend traditionnellement ses quartiers d'été en juillet à Montpellier. Les bandes de l'Orchestre National de Montpellier permettent au Festival d'éditer des disques de ses raretés. Le patron se dit très fier d'offrir de nombreux concerts gratuits et des prix défiant toute concurrence pour les autres manifestations: « 30 euros contre 350 euros à Aix » , proclame-t-il fièrement. La justice nous contraint à remarquer qu'il s'agit des places les plus chères pour Le Crépuscule des Dieux à Aix et de rien moins que de Sir Simon Rattle et de la Philharmonie de Berlin : on ne joue pas dans la même division, s'il vous plaît, cher René ! Le restant de l'année, l'orchestre local et l'Opéra dans ses deux salles (le Corum et l'Opéra Comédie) mènent la vie d'institutions régionales sous la houlette du directeur général de la musique René Koering.

Jacques Doucelin.

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Photo : DR
 

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