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La Chronique de Jacques Doucelin - Château d’Arnouville - Le piano de Fauré passe du poulailler au salon

Vous êtes privilégié si la nouvelle du décès de la dernière diva française, la mezzo Jane Rhodes - qui fit entrer triomphalement Carmen au Palais Garnier et s’illustra génialement dans la version originale en français de L’Ange de feu de Prokofiev salle Favart à la fin des années 50 - est parvenue jusqu’à vous : car seules les stations spécialisées comme France Musique s’en sont fait l’écho. Sinon, elle a sombré dans le puits sans fond de l’ignorance crasse des média dits « généralistes » qui reflètent seulement l’inculture et le mépris de leurs responsables à l’endroit de leurs malheureux clients. Cette presse « idiovisuelle » est condamnée à terme et c’est tant mieux. Internet se sera substitué à elle avant même qu’elle n’ait eu le temps de comprendre. Il y a heureusement dans ce pays des gens, des institutions et des collectivités locales qui ont à cœur de cultiver le souvenir des choses et des gens qui nous ont apporté quelque chose.

Ainsi ce week-end, la municipalité d’Arnouville a-t-elle présenté dans le château qu’y fit édifier en 1750 le ministre des finances de Louis XV Machault d’Arnouville, un piano Erard de la fin du XIXe siècle dont Gabriel Fauré fit don en 1895 à la propriétaire des lieux son amie Marguerite Hérold, petite fille de Louis Hérold l’auteur de deux tubes de l’Opéra Comique, Zampa et Le Pré aux clercs. Ce demi-queue en palissandre à cordes parallèles fut joué régulièrement par son donateur qui affectionnait l’air de la campagne et le charme du grand parc ainsi que par un de ses élèves, un certain Maurice Ravel ! La grande guerre qui transforma la demeure en hôpital de campagne, faillit être fatale à l’instrument qui se retrouva relégué dans un… poulailler, puis dans un cagibi d’où il vient d’être extrait pour la bonne cause avec quelques touches d’ivoire en moins et autres outrages du temps.

Il faudra quelque 30.000 euros pour le restaurer et le rendre aux musiciens. Une visite commentée du piano ainsi qu’un concert à l’église Saint-Denys d’Arnouville ont marqué vendredi soir le baptême d’une association autour du piano de Fauré, le début d’un rendez-vous musical printanier et le lancement de la souscription pour la rénovation de l’instrument (1). Toutes obédiences politiques confondues, les élus des environs étaient présents côte à côte pour la circonstance et appel avait été fait pour la partie artistique au directeur du Festival d’Auvers-sur-Oise, Pascal Escande, qui a ainsi parrainé les premiers pas musicaux de ses voisins. Deux brillants lauréats du Conservatoire de Paris, le flûtiste Clément Dufour, digne héritier du grand Rampal, et le pianiste Tristan Pfaff, ont proposé un modèle de concert et de programme : une heure enchaînée sans entracte.

Lorsqu’il fréquentait Arnouville au tournant du siècle, Gabriel Fauré était professeur de composition, puis directeur du Conservatoire de Paris (1905) dont il n’était pas issu lui-même, mais auquel il sut redonner un lustre remarquable par l’engagement des meilleurs professeurs. Il aurait apprécié le choix de Pascal Escande, les deux jeunes interprètes ayant eu à cœur de restituer l’atmosphère dans laquelle avait baigné Fauré comme ses hôtes d’Arnouville avec Debussy, Liszt et Bizet. Le flûtiste a particulièrement brillé dans les deux chefs-d’œuvre que sont Syrinx et Prélude à l’après-midi d’un faune, la version avec piano du dernier le mettant encore plus en valeur.

Sur un piano Blüthner au medium extraordinaire, Tristan Pfaff a trouvé toute la magie des Rêves d’amour nos 2 et 3 comme de la Valse-Impromptu de Liszt précédant le feu d’artifice final de la Fantaisie brillante sur Carmen. Les deux compères s’étaient éclatés dans une autre Fantaisie signée Fauré celle-là, où ils ont perçu toute l’originalité d’un musicien monté de sa province ariégeoise dans la capitale où il sut préserver son caractère direct et sa santé champêtre. Ce qui explique finalement pourquoi Fauré se plaisait tant sous les ombrages d’Arnouville et pourquoi il faut en faire un lieu d’hommage à l’un de nos tout grands compositeurs.

Jacques Doucelin

(1)Les chèques peuvent être adressés à l’Association « Du piano retrouvé aux Musicales d’Arnouville », 15/17, rue Robert Schuman, 95400 Arnouville.

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Photo : DR
 

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