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La Chaise Dieu - Compte-rendu : L’an 40 du Festival

Deux événements, l’un prévu, l’autre totalement imprévu, ont marqué la quarantième édition du doyen des festivals auvergnats à La Chaise-Dieu. Le premier fut l’embrasement de la façade de l’abbatiale gothique, chaque soir à l’issue du dernier concert, le second la mort brutale, à 62 ans, de Bernard Fabre-Garrus (photo ci-contre), l’une des principales figures de la musique ancienne et fondateur du groupe A Sei Voci, il y a trente ans. Ce magnifique musicien dont la discrétion n’avait d’égale que son goût de la recherche et du partage, avait poussé si avant la préparation de ses deux programmes que la seule façon qu’eut son ensemble orphelin de lui rendre un juste hommage fut de maintenir ces deux concerts dont il sut faire d’authentiques temps forts de ce festival anniversaire.

Tous deux étaient voués à l’Italie, le premier au célèbre Napolitain Domenico Scarlatti à l’église de Chamalières-sur-Loire, le second à la découverte chez nous du Bolognais Giacomo Antonio Perti. Cette dernière soirée est emblématique de la curiosité universelle et de la démarche de Bernard Fabre-Garrus dont l’intérêt se portait aussi bien sur les compositeurs vivants que les premiers baroques injustement oubliés. Discret, mais pas enfermé dans sa tour d’ivoire, le fondateur d’A Sei Voci ne dédaignait pas, en effet, de s’associer aux musiciens amateurs comme aux ultra-spécialisés, en l’occurrence le Chœur régional d’Auvergne dont le directeur Blaise Plumettaz sauva la soirée, et l’ensemble bolognais de l’excellent Michele Vanneli : l’union de la passion et de la compétence permit, au-delà de la douleur de tous, de ressusciter au mieux les fastes vocaux de la chapelle de San Patronio qui fit de Bologne le pendant italien de Saint Thomas de Leipzig au temps de Bach, contemporain de Perti. L’assistance est restée sous le charme de l’architecture à la fois grandiose et constamment élégante de sa Messe à 4 chœurs comme de l’extraordinaire beauté des Motets pour l’ascension de la Vierge que le prince de Toscane avait commandés à Perti.

Le tour des capitales musicales européennes s’est poursuivi durant le festival avec des bonheurs divers. On resta sur les plus hauts sommets avec l’évocation du Carême à Naples par Ricardo Alessandrini et son magnifique Concerto Italiano. Quelle que soit la perfection de ce qu’on entend, le génie de Gesualdo plane comme hors du temps dans l’empyrée musicale, attaché à aucune mode, sortant vainqueur de toutes les comparaisons, du Miserere de Durante au Stabat Mater de Scarlatti.

A Françoise Lasserre et à son Ensemble Akademia, revint la tâche plus ingrate : la Semaine Sainte à la Cour de Vienne un siècle avant Haydn et Mozart. Schmelzer, Cato, Becker et autre Caldara ne supportent pas la comparaison avec les Leçons de ténèbres de leurs grands contemporains parisiens ! Leur musique est aussi fade et ennuyeuse que les fresques ornant les plafonds des abbayes rococo de Bavière. Le génie de la musique n’avait pas encore pris possession de la capitale des Habsbourg. Cent ans plus tard, c’est chose faite, comme l’avait prouvé lors du concert d’ouverture Emmanuel Krivine avec de magnifiques extraits de Thamos, roi d’Egypte et la Symphonie Linz de Wolfgang : anniversaire oblige !

Krivine est parvenu à faire de sa Chambre Philharmonique, spécialisée dans le début du XIXè siècle, un vrai orchestre Mozart : tout le contraire d’une boîte à musique bien huilée. C’est le cerveau de Wolfgang sans cesse en quête de nouveautés inouïes, expérimentant des alliages de timbres qu’il nos livre ici : même lorsque le jeune compositeur doit illustrer le catéchisme franc-maçon de l’Abbé Terrasson, il trouve le moyen d’affirmer son originalité. C’est un régal qui culmine avec la Symphonie Linz où l’expérience de la musique de chambre du chef fait merveille. Mais entre les deux, le Concerto pour piano en ut mineur, le plus viril des vingt sept, fut un supplice par frustration et par l’entêtement du soliste Andreas Staier : par quelle aberration d’esprit, peut-on jouer sur un instrument aussi confidentiel dont le son ne franchit pas le dixième rang dans un espace aussi grandiose où seul le grand orgue paraît adéquat ? Ce n’est pas une question de musicologie, mais de bon sens et d’acoustique basique : on ne passe pas des salons de Schönbrunn aux dimensions d’une cathédrale sans changer d’outil de communication sonore ! Devant le naufrage, l’orchestre de Krivine s’est mis à faire de la guimauve : Mozart a pris ses jambes à son cou.

Mais quelque chose me dit qu’il a du revenir précipitamment pour écouter ses dignes descendants de l’Orchestre des Jeunes de Vienne jouer le 1er Concerto pour clarinette de son cousin par alliance Carl Maria von Weber. Et ce d’autant plus que le soliste en était notre sublime Paul Meyer qui a entraîné tous ses cadets dans son souffle. Une 9ème Symphonie de Schubert impeccable de style a fini de nous convaincre des vertus des écoles nationales et de leur bonne santé.

C’est que dans l’abbaye de granit gris édifiée par le pape d’Avignon Clément VI, la tradition reste sacrée or le responsable du festival Jean-Michel Mathé, successeur de Guy Ramona depuis 2003. Mais tradition ne rime pas avec immobilisme. Le nouveau patron est parvenu à augmenter le nombre de concerts tout en diminuant la durée de la manifestation et en la décentralisant dans d’autres hauts lieux de la région auvergnate. Il attend aussi pour 2007 le théâtre rénové du Puy-en-Velay et à moyen terme, 2011, un auditorium à la Chaise-Dieu même, dans des bâtiments conventuels aménagés par la communauté de communes. Comme le démontre le tout nouveau son et lumière, l’immobilité du granit n’est qu’une illusion.

Jacques Doucelin

www.chaise-dieu.com

Photo : DR
 

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