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La Cerisaie au Palais Garnier - « L’opéra de la mémoire » - 3 questions à Philippe Fénelon

Commande de l’Opéra de Paris, créé en version de concert au Bolchoï le 2 décembre 2010, La Cerisaie de Philippe Fénélon, « opéra en douze scènes, un prologue et un épilogue », occupe la scène du Palais Garnier du 27 janvier au 13 février dans une mise en scène de Georges Lavaudant. A l’occasion de cette création scénique, le compositeur a répondu aux questions de concertclassic.

Dans le domaine de l’opéra, votre travail de compositeur se propose à chaque fois comme la lecture musicale de l’oeuvre d’un écrivain majeur : vous avez retenu Cervantès pour Le Chevalier Imaginaire, Flaubert pour Salammbo, Lenau pour Faust. Avec La Cerisaie, vous avez choisi de composer un opéra à partir de l’œuvre de Tchekhov, sur un livret en russe. La plupart des chanteurs viennent du Bolchoï. Cela semble une gageure. Comment êtes-vous parvenu à cette osmose entre votre écriture, la langue et les musique russes ?

Philippe FENELON : Depuis ma jeunesse, j’ai approché la culture de la Russie directement, de l’intérieur, par l’immersion dans les oeuvres littéraires et en me plongeant dans toutes les musiques du répertoire, non sans une tendresse particulière pour Tchaïkovski (dont Tchekhov avait une photographie sur son bureau). Les sonorités des textes des écrivains s’associent en moi à celles des chants et des danses slaves, tout naturellement. Il m’a fallu néanmoins travailler attentivement l’accentuation des mots avec mon librettiste, Alexeï Parine, afin de placer correctement la ligne mélodique sur les mots. Par ailleurs, comme toujours dans mes opéras, des allusions à d’autres œuvres viennent s’inscrire dans le tissu orchestral : le petit orchestre de scène de douze musiciens joue toutes sortes de musiques populaires : on reconnaît une valse, une polka, un fox-trot tandis que dans la fosse, j’ai introduit de brèves réminiscences de Moussorgski, de Chostakovitch, des chœurs orthodoxes, le son de cloches qui rappellent celles du Kremlin, réminiscences qui voisinent avec d’autres motifs empruntés à Verdi, Beethoven ou Wagner, par exemple.

Explorant l’âme russe à travers Tchekhov, vous apparaissez comme une sorte de Proust de la musique, avec cet opéra de la mémoire en quelque sorte.

P. F. : Oui. L’opéra est inspiré du troisième acte de l’œuvre de Tchekhov, la scène du bal qui réunit une dernière fois toute la famille dans sa propriété qui vient d’être vendue. Il comprend douze scènes axées chacune sur un personnage qui dévoile sa relation avec une maison pleine de souvenirs dont il a la nostalgie.

Le chœur des jeunes filles, les cueilleuses de cerises d’autrefois, porte la mémoire du lieu. La dramaturgie, car elle existe, naît de ces bribes de mémoire qui se renvoient les unes aux autres, se brisent comme un miroir, le mouvement incessant des protagonistes trahissant l’incompréhension qui règne entre eux. Il s’agit d’émouvoir, de toucher le spectateur d’un monde insaisissable qui vit à fleur de peau et se défait sous ses yeux,  le sien.

La nécessité intérieure de noter, depuis toujours, les moindres détails de votre vie sur des carnets, n’est-ce pas le rêve de construire avec des mots, une maison pleine de souvenirs, une maison, celle-là, invendable ?

Ces carnets auxquels vous faites allusion me sont indispensables alors même que j’ignore en partie le rôle qu’ils jouent sur mon imaginaire et sur mon acte compositionnel. Grenier de la mémoire, certes, ils excluent aussi ce qui ne se note pas, permettant seulement d’en recevoir la résonance comme autant de repères. Je commence à les publier.

Propos recueillis par Françoise Ferrand, le 18 janvier 2012

P. Fénelon : La Cerisaie (création scénique)
Paris. Opéra Garnier. 27 et 30 janvier, 2, 5, 7,10, 13 février 2012.
(retransmission sur France Musique, le 10 mars à 19h30)

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Photo : DR
 

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