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La Cenerentola à l'Opéra de Lyon – Cendrillon ou le triomphe de l’hilarité (très) dépoussiérée – Compte-rendu

Il était une fois une femme de ménage lasse de son chariot d’entretien et un Rossini facétieux qui s’ennuyait sans doute un peu au paradis des compositeurs trop morts et trop sérieux. Celui-ci descendit des cintres dans une nacelle, ou plutôt du ciel sur son nuage en carton-pâte, afin de soustraire la technicienne à sa morne surface en lui faisant endosser les habits et le destin de Cenerentola. À moins que ce ne fût pour lui jouer un drôle de tour ; à moins encore que le tour ne fût joué à la belle par sa propre imagination, ou à nous-mêmes, confondus par l’inventivité foisonnante et drolatique de Stefan Herheim et son équipe de haut vol. Autant la Cenerentola de Guillaume Gallienne ronronnait l’été dernier à Paris, cuite à l’étouffée sous les cendres du Vésuve, autant celle-ci crépite sans faiblir et sans répit dans l’âtre qui s’agrandit, se démultiplie, se transforme à l’infini et dont surgissent - au sens propre - les protagonistes de cette édifiante histoire semi buffa revue en féerie résolument burlesque.
 
Avec un irrésistible humour parodique, le metteur en scène norvégien conte sa Cenerentola comme un drôle de rêve, s’affranchit alors allègrement de toute contingence de vraisemblance, mêle et croise les rôles d’acteur, de compositeur (le père de l’œuvre devient le terrible « parâtre » Don Magnifico), de narrateur, voire de chef d’orchestre, courbe à loisir l’espace-temps et tord quand même un peu au passage le bras délicat du vénérable melodramma giocoso qui fête son bicentenaire. Entorse que l’on veut bien croire bénigne tant la potion comique est bonne et bien dosée par ailleurs.

© Pierre Maurin
 
Cette Cenerentola ne s’embarrasse en effet pas de trop d’orthodoxie. Pantoufle de verre et, à défaut de citrouille en magasin, chariot de ménage en guise de carrosse pour filer chez le Prince participent à une généreuse pincée de merveilleux saupoudrée ici et là alors qu’elle est totalement évacuée du livret de Ferretti. A l’inverse, l’uniformité comique dans le traitement des personnages gomme la satire sociale et morale originellement portée par une écriture différencié des rôles qui pointe le ridicule des fats et tire à gros boulets sur les arrivistes cupides quand on donne plutôt ici dans le canon à bulles pour tous. A ce tarif, Alidoro, le docte philosophe et véritable grand ordonnateur de l’intrigue en est réduit à jouer les utilités d’amusant marieur. Le baryton-basse Simone Alberghini en endosse l’habit mais n’a pas une aura vocale tout à fait à la mesure de sa scintillante soutane d’évêque du deuxième acte. Enfin et surtout, le dramaturge Alexander Meier-Dörzenbach revendique l’inspiration de la Cenerentola du napolitain Giambattista Basile (1575-1632), celle qui a tué - si si, tué - sa première marâtre, lui permettant d’en gagner une deuxième, bien pire encore.
 
Autant dire que si l’héroïne ne tue personne à Lyon, le triomphe de la bonté angélique qui sous-titre l’œuvre de Rossini passe par pertes et profits (ou peut-être par le conduit de la cheminée). La brave fille n’est ni si naïve ni bien douce mais plutôt forte tête déterminée, si ce n’est un brin calculatrice. Malgré les chapelets de paroles d’humilité vertueuse que le livret met dans sa bouche, elle ne boude ni sa victoire ni sa vengeance et « Mio fasto è la virtù, ricchezza è amore » (la vertu est mon luxe, l’amour ma richesse) finit par faire discrètement toc et flop. La mezzo canadienne Michele Losier prête à la fausse ingénue une verve de tous les instants et une belle mais inégale agilité dans la voix qui assène parfois plus qu’elle n’éclot. On lui concédera que la caractérisation de son personnage l’incite assez peu à des fragilités émues.
 
Il n’empêche, le spectacle va, haut en couleur, entre musical trépidant, Walt-Disney romantico-chantilly et opérette bien troussée avec un caractère qui n’est pas sans rappeler certains déploiements comico-fantasmagoriques d’un Jérôme Savary ou la verve déjantée souvent sortie de la valise à gags d’un Laurent Pelly. Contrepied d’un hasard contradictoire, ce dernier signait au même moment au théâtre des Champs-Elysées un autre Rossini, un Barbier de Séville en forme de partition vivante et pour le coup plutôt sage quand, ici, la vidéo (signée fettFilm) fait jaillir un exubérant geyser de notes qui dansent et s’entrelacent en un cœur amoureux géant du meilleur kitch. Quand, encore, les excellents artistes du chœur, autant de clones du grand Rossini, font des effets de troupe de revue-spectacle de la même veine que ceux imaginés maintes fois par l’excellent Pelly.
 
A force de lazzis en rafales, on risquerait l’indigestion d’humour boulevardier et circassien si la réalisation n’était tirée au cordeau et l’interprétation d’une rare trempe. Perruqué et enrubanné avec le ridicule appliqué d’un Monsieur Jourdain, Renato Girolami est la basse bouffe par excellence, grand habitué du rôle. Sous son blason d’âne bâté, il roule en tous sens sur la scène son ventripotent et très bien nommé magnifique Don Magnifico, flanqué de Clara Meloni et Katherine Aitken, bien chantantes et adorablement méchantes sœurs harpies. Pas moins grotesque dans son costume tout droit sorti de la garde-robe de Liberace, Nikolay Borchev lui donne la réplique avec la parfaite affectation enivrée du valet Dandini travesti en faux prince. Projection impeccable et abatage sans faiblesse, il ne lui manque qu’un ultime supplément de virtuosité. Leur duo du deuxième acte, sur une des meilleures interventions de l’orchestre dans la soirée, est un pur moment d’intelligence collective et de réjouissance. Bonus comique involontaire de la première, les deux chanteurs pris par leur élan réduisent en miettes les feux de la rampe. Il n’en reste pas moins assez de lumière à prendre par l’irrésistible Cyrille Dubois, indispensable portrait de prince charmant un peu benêt pour ce conte de fées foutraque. Sans rechigner à payer de sa personne ou danser la gigue en même temps qu’il chante, il ne se laisse pas aller à une caricature vocale redondante. On retrouve avec délectation sa fraîcheur juvénile charmante, sa musicalité gourmande et soigneuse malgré une voix qui semble n’être pas entièrement déployée mais qui gagne en brillance au fil de la représentation, en témoigne la reprise du «Si, ritrovarla io giuro». Le temps peut-être de s’installer dans le rôle ; à suivre lors des prochaines dates de la série.
 
Le maestro Stefano Montanari à la tête de l’Orchestre de L’Opéra de Lyon ne paye pas moins de sa personne, incartades scéniques bien réglées comprises. Il tisonne en fosse avec une vitalité communicative au diapason de celle qui règne sur scène. Avec aussi des bonheurs très contrastés. Alors qu’il semble manquer d’inspiration pour la cavatine de Dandini ou l’air d’Alidoro, il accompagne avec un esprit ciselé le duo entre Magnifico et Dandini ou la conversation espiègle entre Ramiro et son valet. Manifestement sensible au feu trépidant de la farce, il le laisse à la longue emporter toute une part des subtilités de la partition, le déchainement compact de l’orage du deuxième acte ne les rattrapant guère. L’enthousiasme allant ne fait pas tout un Rossini même si, soyons juste, il ne manque ce soir-là ni de sincérité ni de couleurs.
 
Quelques escarbilles en trop ici, pas tout à fait assez d’étincelles belcantistes là. Peut-être. Mais inutile de chipoter et de faire semblant de bouder son plaisir devant un spectacle conçu et interprété avec autant de vis comica et d’efficacité. Cenerentola attend peut être bien sagement dans son coin que sa bonne fortune vienne à elle ; il serait bien avisé de ne pas rester planté comme elle mais de plutôt courir la voir à Lyon même si tout ça n’est que pour rire.
 
Philippe Carbonnel

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Gioachino Rossini : La Cenerentola – Lyon, Opéra, 15 décembre ; prochaines représentations les 21, 23, 26, 28, 30 décembre 2017 & le 1er janvier 2018 / www.opera-lyon.com/fr/20172018/opera/la-cenerentola
 
Photo © Pierre Maurin

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