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Kun Woo Paik au 24ème Festival de Musique de Dinard – Un regard différent - Compte-rendu

Dernière soirée du Festival de Musique de Dinard 2013… On sent un petit pincement au cœur des mélomanes, bien que le bonheur domine au terme d’une riche édition qui aura permis d’entendre des pianistes tels que Enrico Pace, Pavel Komashenko, Guillaume Coppola, Siheng Song, Natacha Kudritskaya ou encore Marcos Madrigal, jeune Cubain dont le passage sur la Côte d’Emeraude, pour ce qui était l’une de ses premières sinon sa première apparition en France, a fait à l’évidence forte impression. Bonheur aussi chez des organisateurs qui, outre le bilan artistique, se félicitent d’une hausse de la fréquentation d’un peu plus de 10% par rapport à l’année dernière. A l’approche de sa 25ème édition, la manifestation démontre qu’elle a pleinement trouvé sa place dans le paysage musical breton. Fidèle à son habitude, le Festival se clôt par un récital de son directeur artistique, Kun Woo Paik. L’Auditorium Stephan Bouttet est comble pour ce moment comme toujours très attendu. Parmi le public, on remarque la présence - lumineuse - de Yoon Jeong-hee, bouleversante héroïne du film Poetry de Lee Chang-dong et Mme Paik à la ville, et celle de Lee Hye-min, Ambassadeur de Corée à Paris depuis l’automne dernier.

Comme à la Roque d’Anthéron à la fin du mois de juillet, le pianiste propose un récital entièrement schubertien. Le compositeur autrichien ne fait pas partie de ceux auxquels on associe immédiatement celui qui est d’abord connu grâce à ses interprétations de Liszt, Scriabine, Prokofiev, Rachmaninov, Busoni et, plus récemment, Beethoven (une magnifique intégrale des Sonates pour Decca). S’il a jusqu’ici peu interprété Schubert en concert, Kun Woo Paik fréquente cet auteur depuis longtemps. A l’époque de ses débuts américains et de l’enregistrement des œuvres de Ravel pour le label Seon, il avait aussi gravé pour cet éditeur la Sonate D. 960.
L’entendre interpréter Schubert aujourd’hui c’est pénétrer dans son jardin secret, un peu comme cela s’était produit au moment de la parution au début des années 2000 d’un splendide récital Fauré chez Decca. On attend d’ailleurs l’arrivée chez cet éditeur durant l’hiver d’un CD Schubert au programme identique à celui du concert dinardais. Celui-ci y entremêle les 4 Impromptus op 90, les 3 Klavierstücke D 946 et les Moments musicaux op 94 nos 2, 4 et 6 (1). La possibilité d’entendre les deux premiers cahiers d’une façon totalement différente de celle à laquelle l’agencement de ces recueils, généralement donnés d’un seul bloc, a habitué amène à porter un regard différent sur les morceaux, à les redécouvrir dans une nouvelle perspective. L’art de construire les programmes distingue depuis toujours l’artiste coréen. Quand d’autres pianistes donnent l’impression d’aligner arbitrairement des œuvres, lui parvient à un tout organique, d’une imparable cohérence.

Faire l’expérience d’un récital de Kun Woo Paik revient toujours à entreprendre un voyage poétique - d’où l’on ne ressort jamais intact - : c’est bien ce à quoi il nous invite avec l’Impromptu op 90 n°1 qui ouvre le concert. Jusqu’au Moment musical n°6 qui le referme avec une pudeur admirable, on est de bout en bout captivé par la richesse et la densité de la sonorité et l’omniprésence du chant. L’interprète sait que le piano schubertien n’est jamais bien éloigné de l’univers du Lied et le fait ressentir avec une bouleversante poésie. Des pages mille fois entendues, tel l’Impromptu op 90 n°2, prennent une dimension nouvelle. Et que dire que de la confidence aussi vibrante que secrète de l’Opus 90 n°3, de la formidable urgence du Klavierstück D 946 n°1 ou celle de l’Impromptu Op. 90 n°4 que, par effet de contraste, l’enchaînement avec Moment musical n°6 rend plus saisissante encore.
Avec une parfaite justesse stylistique et sans jamais surcharger l’expression, Kun Woo Paik est de ceux qui révèlent la musique de Schubert dans toute sa singularité et sa force. Longue ovation d’un public conquis. Sûrement conscient d’avoir atteint une forme d’idéal au cours d’une soirée sans le moindre temps mort, l’interprète préfère s’abstenir de tout bis, nous laissant sur notre nuage…

Alain Cochard

(1) Impromptus op 90/1, Klavierstück D 946/3, Moment musical op 94/2, Moment musical op 94/4, Impromptu op 90/3, Impromptu op 90/2, Klavierstück D 949/1, Klavierstück D 946/2, Impromptus op 90/4, Moment musical op 94/6

Dinard, Auditorium Stephan Bouttet, 18 août 2013

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Photo : DR
 

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