Journal

Kotaro Fukuma en récital aux Nuits du Piano / Salle Cortot – De Vienne à Paris – Compte-rendu

Kotaro Fukuma
Formé pour une large part au Conservatoire de Paris, dans la classe de Bruno Rigutto, Kotaro Fukuma (photo, né en 1982) s’impose parmi les principales personnalités pianistiques de la nouvelle génération. On suit depuis une bonne douzaine d’années (1) maintenant le parcours d’un artiste dont les moyens pianistiques n’ont d’égal qu’une intense musicalité – et l’on se souvient, lors d’une audition dont nous avons été le témoin chez Aldo Ciccolini durant l’été 2012, de l’émouvant enthousiasme du vieux maître envers son jeune collègue – venu de ce Japon qu'il admirait tant – après l’avoir attentivement écouté dans Debussy et Albéniz ...
 
© Takuji Shimmura

Le programme que Fukuma offre au public très fourni de la salle Cortot – M. Masato Kitera, Ambassadeur du Japon en France, est présent – dans le cadre de la série « Nuits du Piano Paris » de Patrice Moracchini se veut hommage à deux capitales musicales, Vienne et Paris. Fantaisie en ut majeur Hob. XVII.4 : ce Haydn tardif (1789), débordant d’invention et de liberté, trouve un interprète au jeu remarquablement dessiné, ferme mais sans sécheresse, sachant saisir les humeurs changeantes de la pièce avec une parfaite fluidité.

La Sonate en si bémol majeur D.960 s’est inscrite il y seulement quelques mois au répertoire de Kotaro Fukuma, mais frappe déjà par la cohérence du propos, son originalité aussi ; on n’y trouve aucune volonté de « testamentariser » l’ultime sonate du compositeur autrichien, de la surcharger de funestes pressentiments. Tempi retenus pour les deux premiers volets : le Molto moderato semble s'écouler entre les images d’un rêve, avant que l'Andante sostenuto n'exhale une solitaire poésie, sans dramatisation forcée. Lumineux, le scherzo se révèle con delicatezza à souhait, tandis que l’Allegro ma non troppo traduit des atmosphères plus ambiguës. Schubert au pays de l’Ukiyo-e : résultat fascinant et auditoire littéralement « scotché » !
 

L’attachement à la musique française de Kotaro Fukuma n’est plus à dire (on se souvient d’un très beau disque Debussy pour Hortus) et vient de s’illustrer il y a peu avec la sortie chez Naxos d’un récital intitulé « France Romance ». Une galette sur laquelle, à côté de Debussy, Fauré, Ravel, Satie et Poulenc, figurent les 6 Arrangements de chansons de Charles Trenet d’Alexis Weissenberg. La seconde partie du récital fait écho à cette parution.

Le Nocturne n°2 de Fauré ouvre la marche, svelte et décanté, avant l’Hommage à Edith Piaf (15ème Improvisation) de Poulenc, d’un lyrisme aussi touchant que sincère. On ne résiste pas plus à l’arrangement que Kotaro Fukuma a signé de la valse Je te veux de Satie. Charme, humour, brio : tout y est, servi par un jeu plein de couleurs ! Il fait autant merveille dans trois Trenet/Weissenberg (Coin de rue, Vous oubliez votre cheval, En avril à Paris), des pages que Fukuma a bien raison de défendre (elles ont été éditées par les soins Marc-André Hamelin chez Muse Press à la fin de l’année dernière). Retour à la valse enfin, Valse tragique, celle de Ravel (arrangée par K. Fukuma) que l’interprète, après avoir fait scintiller les lustres de salle de bal, emporte de radicale et vertigineuse façon.

Trois bis : une chanson traditionnelle japonaise arrangée par Weissenberg, l’époustouflante Soirée de Vienne de Strauss/Grünfeld et, enfin, Parlez-moi d’amour transcrit par le pianiste. Kotaro Fukuma ne se contente pas d’aimer la France et sa culture, il les comprend.

Les apparitions de l'artiste japonais dans l’Hexagone ne manqueront pas durant les semaines à venir : Piano(s) Festival de Lille (15/06), Festival des Abbayes (30/06), Auvers-sur-Oise (3/07) et Festival Chopin de Bagatelle (9/07), où on l’a déjà entendu et auquel il destine un programme, aussi original qu'inédit, autour du nocturne et de la valse.

Alain Cochard

Partager par emailImprimer

Derniers articles