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Karol Mossakowski referme la saison d'orgue de Radio France – Un avant-goût prometteur – Compte-rendu

Liszt, du piano à l'orgue : ainsi s'intitulait le programme de l'organiste américain Nathan Laube (Eastman School of Music de Rochester, New York), qui devait jouer sa propre transcription de la Sonate en si mineur de Liszt. À trois semaines du concert, le musicien, souffrant, a dû annuler sa prestation, aussitôt remplacé par Karol Mossakowski, lequel anticipait ainsi sa prise de fonction en tant qu'organiste en résidence – rappelons que le passage de témoin de Thomas Ospital à Karol Mossakowski (1) se fera le 2 octobre, lors d’un Tournoi d’improvisation présenté par Benjamin François.
 
On avait déjà entendu le musicien polonais aux claviers du Grenzing le 25 octobre 2017 : belle prestation, mais à moitié convaincante dans le domaine, précisément, de la transcription lisztienne – Méphisto-Valse ! (2), puis de nouveau, le mois suivant, dans un Concerto de Poulenc exemplaire à la Philharmonie de Paris (3). Le programme de ce second récital à Radio France reprend les grandes lignes du précédent, mettant en valeur des qualités qui n'ont fait que s'affirmer, à commencer par une franche et solide clarté de l'articulation portant texte et timbres avec vivacité et souplesse, toujours sans excès, de manière « naturelle » mais hautement ciselée – tout un art, comme l'on sait. Cette vivacité illumina le début de la soirée : Prélude et fugue en sol mineur de Brahms, œuvre de jeunesse (1857) d'un musicien n'ayant pas encore quitté l'Allemagne hanséatique et renouant, à deux siècles de distance, avec le stylus fantasticus des maîtres baroques, restitué par l'interprète avec ce qu'il faut d'imprévu dans le flux musical, mais aussi, naturellement, un art du contrepoint à mi-chemin entre rigueur formelle et impétuosité romantique.
 

L'orgue Grenzing de l'Auditorium de Radio © Radio France / Christophe Abramowitz
 
À la Chaconne de 2017 (transcription Messerer) répondit non pas une transcription mais une « simple » adaptation à l'orgue : Suite française n°5 en sol majeur BWV 816. Clavecinistes et pianistes n'ont rien à redouter, les grands cycles de Bach resteront leur apanage, mais il faut reconnaître que chacun des sept mouvements fut à la hauteur de l'intention, l'apport délicieux de la mise en timbres que l'orgue autorise se révélant à tout moment irréfutable et plus que séduisant, avec une alternance équilibrée et variée d'anches, de mélanges piquants, de sonorités flutées, le tout projeté avec charme et faconde, jusqu'à l'irrésistible Gigue finale.
 
La pièce suivante relevait véritablement de la transcription. Si Karol Mossakowski avait proposé en 2017 un Prélude et fugue pour piano de Mendelssohn (judicieusement choisi et pour un résultat convaincant), le défi était ici tout autre. Contrairement à Méphisto-Valse, qui n'avait pas réussi le saut d'obstacle du piano à l'orgue, les Variations sérieuses de Mendelssohn, pourtant profondément pianistiques et ici également dans la transcription de l'interprète, furent autrement captivantes. Tout y sembla résolument à sa place, selon un enchaînement dynamique d'une absolue fidélité. Les grandes transcriptions tendent à faire éprouver l'œuvre « détournée » comme pensée pour l'instrument de seconde destination. En l'occurrence, on ne saurait dire que Karol Mossakowski a réussi à faire des Variations sérieuses une œuvre d'orgue. Mieux que cela, tout en l'adaptant à un principe sonore fondamentalement différent, il n'aura en fait cessé de suggérer l'original pianistique, ce qui sans doute est encore plus fort.
 
Pas de Sonate en si mineur de Liszt en seconde partie, mais rien moins que la Fantaisie et fugue sur "Ad nos, ad salutarem undam", le tout premier et le plus vertigineux des monuments organistiques de Liszt. L'interprète y fit montre de la somme des qualités précédemment évoquées, en virtuose étranger à toute emphase comme à toute velléité démonstrative, orchestrant avec style, éclat et lyrisme, s'offrant même le luxe de « distendre » une très poétique section centrale, équivalent du mouvement lent, comme hors du temps, sans que jamais la phrase ne fléchisse, que la ligne ne soit rompue ou, plus simplement encore, que l'attention de l'auditeur ne se perde. Un petit tour de force en soi, auquel répondait une superbe et un aplomb, dans les moments de grande complexité instrumentale et de pure virtuosité, d'une radieuse fulgurance, saisissante de force et de réserves intactes d'énergie.
 
Karol Mossakowski était apparu en 2017 maître de son jeu, mais « sage ». La maîtrise n'a fait que se bonifier et s'est enrichie d'un surcroît de fantaisie (avec encore une belle marge) et d'affirmation d'une personnalité musicale qui, en constant devenir comme ce devrait être le cas de tout interprète en mouvement, pourrait réserver au cours des années à venir de belles surprises.
 
Michel Roubinet

Paris, Auditorium de Radio France, 15 mai 2019
www.maisondelaradio.fr/evenement/recital/sonate-de-liszt
 
 
(1) www.francemusique.fr/emissions/l-invite-du-jour/thomas-ospital-et-karol-mossakowski-sont-les-invites-du-jour-70770
 
(2) www.concertclassic.com/article/karol-mossakowski-lorgue-grenzing-de-radio-france-linstrument-multiple-au-service-de-la
 
(3) www.concertclassic.com/article/orchestres-en-fete-met-lorgue-lhonneur-la-philharmonie-de-paris-un-multivers-de-mondes
 
 
Photo © R.Kucavik

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