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Julie Fuchs et Le Balcon à l'Athénée - L'heure spectrale - Compte-rendu

L'œuvre de Gérard Grisey, interrompue prématurément par la mort du compositeur en 1998 (il avait alors 52 ans), s'impose aujourd'hui comme un point de repère indispensable dans l'histoire récente de la musique. Dans les années 1970, Gérard Grisey avait participé à l'aventure de l'ensemble L'Itinéraire, aux côtés, entre autres, de Michaël Levinas, Hugues Dufourt ou Tristan Murail. C'est là et alors qu'est née la musique dite spectrale : non pas une nouvelle chapelle, tout au plus une nouvelle école, dans la mesure où l'on y venait étudier le son – mais surtout une façon inédite d'approcher les puissances du sonore.
 
Toujours actifs, ces compositeurs de L'Itinéraire ont poursuivi leur œuvre, chacun dans une direction très personnelle mais tous avec une conscience très forte du timbre. On l'a vu récemment avec le traitement de la voix comme de l'orchestre dans Le Petit Prince de Levinas. On a pu entendre aussi, lors d'un récent concert de l'Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Pierre-André Valade, comment Tristan Murail, dans Le Désenchantement du monde, acclimate une virtuosité pianistique tout droit venue de Liszt (et que le pianiste Pierre-Laurent Aimard fait sienne) aux croisements de timbres et à l'harmonie très large qu'il a développée depuis plus de quarante ans. Lors de ce même concert (le 6 mars), était donnée la création du Passage du Styx, d'après Patinir où Hugues Dufourt poursuit son élaboration d'une musique en perpétuelle transformation, aux couleurs et lumières toujours changeantes, et qui opère une véritable transfiguration de l'orchestre.
 
La musique de Gérard Grisey connaît aujourd'hui une audience importante, qui dépasse le cercle restreint du public habituel de la musique contemporaine. L'Ensemble intercontemporain avait ainsi fait salle comble en décembre 2013 pour son interprétation du cycle Les Espaces acoustiques sous la direction de Pascal Rophé à la Cité de la musique. Cette fois, c'est l'ensemble Le Balcon et son chef Maxime Pascal qui deux soirs de suite proposent au Théâtre de l'Athénée Quatre chants pour franchir le seuil, ultime partition de Gérard Grisey, achevée peu avant sa disparition.

 Maxime Pascal © Jean-Baptiste Millot

Œuvre poignante, dont l'intensité tient pour beaucoup à la raréfaction du matériau, elle est une sorte d'invocation funèbre, célébration dans la mort d'un au-delà indéfini. Les quatre parties de l'œuvre – la mort de l'ange, la mort de la civilisation, la mort de la voix, la mort de l'humanité – reposent sur l'intrication d'une voix entre déclamation minimale et chant ébauché (mais toujours puissamment articulé) et d'un ensemble à la fois transparent et secoué de mouvements telluriques. La soprano Julie Fuchs interprète à merveille ce rôle – presque celui d'une sibylle – que l'on devine éprouvant tant vocalement (l'écriture syllabique du premier mouvement) qu'émotionnellement (la longue litanie que le compositeur tire de fragments de hiéroglyphes de sarcophages égyptiens, pour certains irrémédiablement disparus). Maxime Pascal et les musiciens du Balcon portent les textures instrumentales de Grisey avec une énergie et une tension toujours à fleur de peau.
 
L'interprétation s'accompagne, comme toujours avec Le Balcon, d'un travail d'amplification et de projection du son particulièrement soigné, confié à Florent Derex. Si, dans les deux premiers mouvements, l'amplification des attaques (des percussions notamment) fait perdre à la musique un peu de son caractère fragile et ténu et change donc sensiblement sa dramaturgie propre, la tempête du dernier mouvement, inspiré par la lecture de l'Épopée de Gilgamesh, se fait encore plus distincte et présente – plus expressionniste peut-être que spectrale.
En première partie de concert, la création de Théâtre acoustique II : Fête dans le vide de Pedro Garcia-Velasquez avec la soprano Léa Trommenschlager semble par comparaison un monodrame bien naïf qui procède par collage de séquences plus que par tension continue.
 
Jean-Guillaume Lebrun

Paris, Athénée-Théâtre Louis Jouvet, le 27 mars 2015.
 
 Photo Julie Fuchs © © juliefuchs.artiste.universalmusic.fr

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