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Jonas Kaufmann en récital au Théâtre des Champs-Elysées – Jonas fait son show – Compte-rendu

Onzième et dernière étape d'une tournée parfaitement rodée, baptisée « Du bist der Welt für mich » (1), Paris attendait de pied ferme le Ténor des ténors, Jonas Kaufmann, ce 23 mai. A l'origine de cette série de concerts débutée à Cologne, un album en hommage aux succès du tandem Lehár-Tauber et de l'âge d'or du cinéma parlant jusqu'aux premières épuration nazies, publié en début d'année, un DVD comprenant un live donné à la Maison de la Radio de la rue Nalepa (Berlin) et un documentaire sur le Berlin des années 30 (Sony), sans oublier teaser, séances photos et autres objets de marketing.

Sur la scène du TCE pour une soirée inscrite dans le série "Les Grandes Voix", Kaufmann, décontracté comme rarement, s'adresse d'abord au public pour lui expliquer la présence incongrue d'un micro, destiné à respecter l'intimité de certains airs ou chansons composés pour le cinéma, contrairement aux extraits d'opérettes écrits pour être accompagnés par de grandes formations orchestrales. Si certains ont par le passé usé et abusé de la technologie pour tricher sur l'authenticité de leurs moyens vocaux, Kaufmann, nous le savons, est le même à la scène et dans les studios d’enregistrements ; on regrette cependant que sur les douze morceaux choisis, trois seulement aient été donnés sans artifice car « Freunde das Leben ist lebenwert » issu de Giuditta et le célèbre « Dein ist mein ganzes Herz » du Pays du Sourire, tous deux de Lehár, chantés d'une voix pleine aux accents tumultueux et caressants parsemés d'aigus torrides, donnaient envie de rester sur cette impression ; au passage, le second couplet du Pays du sourire donné en français, n'a pas manqué de transporter l'auditoire... largement féminin.
 
D'une qualité artistique, musicale et interprétative équivalente, le reste de la performance était donc entièrement sonorisé, ce qui n'a pas empêché le ténor de gratifier ce répertoire léger d'un timbre de miel et de feu où cohabitent tout ensemble humour subtil (« Heute Nacht oder nie » de Mischa Spolianzi, qu’interprétait le ténor polonais Jan Kiepura dans le film de Anatole Litvak Das Lied einer Nacht - 1932) et érotisme latent (« Gern hab ich die Frau'n geküsst » ; Paganini/Lehár), dignes des plus grands crooners du passé. Aussi à l'aise pour recréer ces atmosphères délicieusement kitsch et surannées que lorsqu'il se glisse dans la peau du romantique Werther, du cow boy Dick Johnson ou du jumeau incestueux de La Walkyrie, Kaufmann prend un plaisir infini à ressusciter ces partitions qui ont accompagné toute une génération pendant l'entre-deux-guerres et dont la popularité fut immense grâce à l'avènement du parlant et de l'industrie du disque.
 
A côté de la musique élégante et raffinée de Lehár et de son concurrent direct Kálmán, celle de Hans May « Ein Lied geht um die welt » écrite pour le film du même nom réalisé par Richard Oswald en 1933 et immortalisée par le ténor Joseph Schmidt, trouve elle aussi sa place dans ce programme tout de même déséquilibré par la présence de la terrifiante Marche issue de l'opérette Frühjahrsparade (Robert Stolz) et de l'air issu du long-métrage Das Liebeskommando, un rien pompier, dirigés sans grande nuance par Jochen Rieder à la tête du Müncher Rundfunkorchester.
 
Généreux et expansif face à une salle comblée, Jonas Kaufmann est revenu à cinq reprises : d'abord avec un « Es muss was Wunderbares sein » de Ralph Benatzky, enflammé, suivi par un langoureux « Irgendwo auf der Welt » de Richard Heymann, avant de remplacer le chef pour diriger la vigoureuse, mais si « teutonne », Marche de Stolz citée plus haut et de conclure avec le mélancolique et pourtant malicieux « Frag nicht, warum ich gehe » toujours de Stozl, que Marlène Dietrich aimait tant interpréter dans ses tours de chant et dédiait toujours à son ami Tauber, reprenant enfin l'air de Giuditta, non sans avoir retiré sa cravate dans l'euphorie générale.
Un concert revigorant, quelques semaines seulement avant un nouveau sacre annoncé, aux Chorégies d'Orange où le ténor fera ses premiers pas avec un Don José très attendu.

François Lesueur
 
1) "Tu es le monde pour moi"  de l'opérette Der singende Traum (Le rêve qui chante) de Richard Tauber 1943.
2) www.concertclassic.com/festival/choregies-dorange
 
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 23 mai 2015

Photo © G. Hohenberg

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