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John Nelson dirige la Missa solemnis à Notre-Dame de Paris – Jubilation spirituelle – Compte-rendu

Associé à plusieurs reprises aux productions grand format de Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris, John Nelson avait déjà dirigé la Missa solemnis de Beethoven sous la tribune du grand orgue. C’était en mars 2010, à la tête de son Ensemble Orchestral de Paris, la Maîtrise de la cathédrale dirigée par Lionel Sow étant alors associée au Chœur de l’Armée française dirigé par Aurore Tillac. Pour cette nouvelle coproduction des 27 et 28 novembre, le chœur – quelque 130 chanteurs – était constitué, outre le Chœur d’adultes de la Maîtrise (Henri Chalet) et l’Ensemble vocal de Notre-Dame de Paris, du Chœur Philharmonique du Coge (Chœurs et Orchestres des Grandes Écoles de Paris, Antoine Bretonnière) et du Laudate Deum en chœur de chambre de Lausanne (Catherine Berney), ce dernier entendu à Notre-Dame en février dans les Vêpres de Rachmaninov. L’orchestre était le Nexus Symphonique, nouveau nom de l’Orchestre Romand des Jeunes Professionnels créé en 2010 par son chef Guillaume Berney – cette Missa solemnis fut reprise le 2 décembre en la cathédrale de Lausanne sous sa direction et le 3 au Victoria Hall de Genève sous celle de John Nelson (photo), avec les mêmes orchestre et formations chorales.
 
Qui de la Missa solemnis, parfois perçue tel un sommet inaccessible, garde l’image sublimement hiératique et de haute inspiration d’un Otto Klemperer n’aura pu être que médusé d’entendre John Nelson insuffler à ce chef-d’œuvre altier tant de vigueur et de hardiesse – l’élévation par la puissance et l’énergie, extrêmes et stimulantes, le monument passant presque en un éclair. Est-ce le triomphe de sa récente gravure intégrale des Troyens de Berlioz (Warner), toujours est-il que l’on eut le sentiment d’assister à un frémissant et passionnel opéra liturgique. Lequel, dès les Kyrie et Gloria initiaux (impact et tempo fulgurant du Cum Sancto Spiritu, couronné d’un Amen en coup de tonnerre), confirma le rôle premier du chœur, ici d’une fervente homogénéité de ton et d’intention, les solistes ne semblant de prime abord que ponctuer l’ardent et primordial engagement du chœur.
 
Le Credo déplaça la balance entre solistes et chœur (ce dernier revendiquant aussi une ineffable douceur), maintes phrases emblématiques de l’acte de foi, aux accents contrastés de dolorisme et de tragique survolté, attestant que le même Beethoven ne chante pas autrement, dans Fidelio, la liberté et l’amour sublimé. Si toute la fin du Credo appartient également au chœur, les solistes firent une apparition remarquée sur l’Amen final en tant que vrai quatuor d’un parfait équilibre : Aga Mikolaj (soprano) – mozartienne et bien au-delà, Eva Zaïcik (mezzo) – révélation Artiste Lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2018, lauréate des Concours Reine Élisabeth et Voix Nouvelles (c’est à la Maîtrise de la cathédrale qu’elle fit ses premières armes), Daniel Behle (ténor) – aussi à l’aise dans Mozart, Wagner ou Richard Strauss que dans l’univers du lied, enfin Bertrand Grunenwald (basse) – lequel mène une singulière et double carrière dans la haute finance et le chant lyrique, et se trouve être l’actuel président de l’association Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris.
 
Le Sanctus fit la part belle d’abord aux solistes (Beethoven ne leur fait aucune concession, traitant chaque voix tel un instrument, sans se soucier des difficultés de registres, souvent fort incommodes) puis au chœur dynamique – vertigineux tempo fugato à haut risque de l’Hosanna !, résolument assumé. L’ineffable solo de violon introduisant le Benedictus fut non moins idéalement chanté par le violon solo du Nexus Symphonique : Guillaume Jacot, dont la voix pleine et lyrique s’éleva dans la nef de Notre-Dame avec aisance et plasticité, la beauté du timbre offrant le plus noble des accompagnements au chœur puis aux solistes – dans un moment d’imbrication des voix parmi les plus complexes et tendus (toujours en termes de tessiture et notamment pour la soprano) de l’œuvre tout entière.
 
L’éloquent Agnus Dei conclusif valut aux solistes des moments d’intense jubilation spirituelle – basse et voix d’hommes, puis mezzo et ténor avec voix d’hommes et altos, tous amplement spatialisés et à maints égards envoûtants, cependant que l’orchestre, composé certes de jeunes musiciens mais d’une maturité et d’une unité assurées, arborait une texture brillamment ciselée et rehaussée d’un chaleureux dialogue des pupitres. Quant aux deux trompettes « en coulisse », elles évoquèrent à leur tour Fidelio et l’appel salvateur – ici rédempteur – de l’Acte II. Monument inclassable et sans équivalent du répertoire de musique sacrée, la Missa solemnis est aussi une œuvre formidablement captivante, et bouleversante : les musiciens de cette soirée à marquer d’une pierre blanche, galvanisés par John Nelson toutes générations confondues, en firent de manière jubilatoire la vive démonstration.
 
Michel Roubinet

Paris, cathédrale Notre-Dame, 27 novembre 2018 // www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/

Photo © Marco Borggreve

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