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Jean-Baptiste Monnot et Mathias Lecomte à Neauphle-le-Château - Orgues « du voyage » et de tribune en dialogue – Compte-rendu

Loin des tribunes parisiennes ou, pour les Yvelines, des orgues réputés de Versailles – chapelle royale, cathédrale Saint-Louis, Sainte-Jeanne-d'Arc (où grâce à Amaury Sartorius le Müller de la Maison de la Radio a pu être réinstallé) – l'orgue retentit aussi dans des lieux auxquels on ne prête pas toujours attention à cet égard. Ainsi à Neauphle-le-Château où, du 7 au 11 juin, une animation pédagogique et musicale a notamment permis à cinq classes de CM1 et CM2 de Neauphle et des environs de découvrir le roi des instruments.
 

L'orgue de Saint-Nicolas de Neauphle (@ DR)
 
Si les amateurs sont coutumiers des « historiques stratifiés », les étapes de l'orgue de Saint-Nicolas de Neauphle a de quoi surprendre qui n'en est pas familier. À l'origine, modeste, on trouve un positif fin XVIIIe siècle racheté en 1845 par la paroisse à un brocanteur parisien : quatre jeux et demi. Lequel sera agrandi par différents membres d'une célèbre famille d'organiers versaillais originaire d'Angleterre : les Abbey. L'orgue s'y verra doté, lors des travaux de 1867-1868, de son buffet néogothique, nullement révélateur de l'esthétique de l'instrument tel qu'il se présente aujourd'hui. Car d'autres travaux intervinrent en 1969, confiés à Adrien Maciet, puis à son fils Pierre, auquel on doit la composition actuelle de ce deux claviers riche de vingt jeux : un orgue devenu classique français, composé de jeux des XVIIIe, XIXe et XXe siècles ! C'est cet instrument, régénéré sous l'impulsion constante de son titulaire depuis plus de quarante ans : Marc Leroy, que devait inaugurer Marie-Claire Alain en 1998, avant d'y enregistrer l'année suivante un délicieux CD en forme de portrait (Livre d'Attaignant ; Nivers, Clérambault, J.-F. Dandrieu, Balbastre ; J.S. Bach), album toujours disponible sur place.
 
Clos et empreint de mystère, un instrument de tribune est parfois d'un recours malaisé lorsqu'il s'agit de l'expliquer à un public qui en ignore tout. C'est là qu'entre en scène « l'Orgue du Voyage » imaginé et réalisé par Jean-Baptiste Monnot  (photo) (1), d'une conception si novatrice que, sauf erreur, il est tout simplement unique en son genre. Les orgues transportables sont certes peu fréquents, mais on en connaît : Pierre Cochereau en avait fait construire un par Philippe Hartmann, qu'il promenait de ville en ville le temps d'une tournée d'été. D'un seul bloc et certes « transportable », mais au prix de combien de difficultés !
 
L'originalité de « l'Orgue du Voyage » tient à sa répartition en huit modules indépendants, transportables séparément et naturellement tous commandés depuis la même console. L'alimentation multiple en vent, en l'occurrence trois moteurs (qui autorisent des pressions différentes favorisant la diversité des plans sonores), permet de dissocier les tuyaux les plus gourmands pour un équilibre et une stabilité générale jamais pris en défaut. La composition des jeux est l'une des idées maîtresses du projet : avec pour base seulement cinq rangs de tuyaux (mais sur des sommiers de 73 notes), on parvient à une richesse de timbres proprement étonnante, nombre de tuyaux réintervenant dans la configuration de différents jeux et tessitures. Où l'on constate qu'un simple huit pieds et sa mixture de trois rangs peuvent sonner de manière imposante, toujours avec une « gravité » qui sans cesse surprend sur un instrument de taille en définitive modeste (mais doté d'un vrai 16 pieds). Flûtes diverses, mutations séparées et piccolo, dessus de hautbois et voix humaine complètent une palette dont la réussite et la beauté intrinsèque s'expliquent aussi par le travail d'harmonisation, sans cesse perfectionnée et aujourd'hui parvenue à un degré hautement convaincant, auquel s'est livré Jean-Baptiste Monnot depuis quelque dix-huit mois, sans jamais perdre de vue la nécessité de servir les répertoires les plus divers.
 
C'est cet orgue mobile à hauteur d'homme, approchable, presque touchable (si la matière même des tuyaux n'était si « fragile »), qui a été présenté aux élèves de primaire. Souvent habitués à ne connaître de son que compressé émergeant d'écouteurs rivés à leurs oreilles, ils furent stupéfaits de ressentir le son – véritablement physique, avec l'onde et le vent qui l'accompagnent – jaillissant librement des tuyaux. L'orgue installé sur la place du marché fit sensation, Jean-Baptiste Monnot se chargeant d'expliquer aux scolaires (et aux moins jeunes) le fonctionnement de cette étrange machine, à la fois du XXIe siècle et parfaitement traditionnelle dans son principe sonore.
 
Deux temps forts, le samedi 11 juin, ponctuaient l'aventure. Une masterclass publique de Jean-Baptiste Monnot en matinée – cinq étudiants avancés, principalement de la classe d'orgue (CRR de Versailles) de Jean-Baptiste Robin, organiste à la chapelle royale du château – puis en soirée un concert à deux orgues à Saint-Nicolas, « l'Orgue du Voyage » ayant pris place à l'entrée du chœur. À Jean-Baptiste Monnot répondait Mathias Lecomte, organiste de l'abbaye de la Cambre à Bruxelles, qui présentait également le programme. En ouverture : Concerto op. 7 n°5 de Haendel – l'orgue mobile en soliste (J.-B. M.), celui de tribune – magnifiquement timbré – dans le rôle de l'orchestre (M.L.). En clôture, un autre Concerto : celui en la mineur que Bach transcrivit pour orgue (BWV 593) d'un original pour deux violons de Vivaldi, les parties soliste et ripiéniste étant ici dissociées (quand l'organiste, dans la version de Bach, joue l'ensemble), les deux musiciens inversant leurs rôles en regard de Haendel. Un dialogue parfait, compte tenu d'une distance relativement modeste et en dépit du diapason très élevé de l'orgue de tribune, que Jean-Baptiste Monnot compensa par une (délicate !) intervention sur les pressions de l'orgue mobile…
 
Entre les deux : un ensemble de pièces on ne peut plus différentes mais qui toutes trouvaient à s'exprimer de manière irrésistible sur l'orgue mobile, sans chercher à imiter ce que l'on ferait sur des instruments d'esthétiques « appropriées », Jean-Baptiste Monnot (Fugue BWV 532 de Bach, Esquisses op. 58 n°3 et 4 de Schumann) et Mathias Lecomte (deux Sonates de Domenico Scarlatti, Impromptu de Vierne : superbe !) alternant aux claviers.
 
Ou comment porter la musique d'orgue, dans des conditions aussi optimales que réellement originales, en des lieux où l'on n'a que peu d'occasions de l'entendre.
 
Michel Roubinet

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(1) www.concertclassic.com/article/3-questions-jean-baptiste-monnot-organiste-titulaire-de-labbatiale-saint-ouen-de-rouen-orgue
 
Neauphle-le-Château (Yvelines), église Saint-Nicolas, samedi 11 juin 2016
 
 
Sites Internet :
 
Jean-Baptiste Monnot
jeanbaptistemonnot.com/biographie/
 
Mathias Lecomte
mathiaslecomte.blogspot.fr
 
L'Orgue du Voyage
orgueenmantois.wordpress.com/lorgue-du-voyage/
 
Orgue de l'abbaye de la Cambre (Bruxelles)
www.orgel-schumacher.com/fr/references/restaurations/ixelles-abbaye-de-la-cambre

Photo © DR

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