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Jean-Baptiste Doulcet au 20e Festival Européen Jeunes Talents – L’art de la narration – Compte-rendu

4ème Prix du Concours Long Thibaud l’an dernier, Jean-Baptiste Doulcet y a aussi obtenu le prix d'un public légitimement séduit par un artiste aussi attachant que convaincant (1). Avec le flair qu’on lui connaît, l’association Jeunes Talents n’a pas attendu son succès au Concours pour lui faire confiance : depuis 2014, elle a invité à plusieurs reprises ce musicien complet (né en 1992), à la fois pianiste, compositeur et improvisateur, formé entres autres par Claire Désert, Thierry Escaich et Jean-François Zygel au CNSMDP.
 
Les Kreisleriana de Schumann ouvrent un programme à caractère « littéraire » ; la Dante de Liszt suivra. Äusserst bewegt (extrêmement agité) : plutôt que de foncer tête baissée, Doulcet préfère chercher l’agitation de l’âme dans les tréfonds de la polyphonie. D’emblée, on comprend qu’ETA Hoffmann et Bach se donneront la main tout au long d’une interprétation extrêmement fouillée, continûment appuyée sur la logique du texte – un pianiste et compositeur est à l’œuvre ici. Tous les contrastes de l’ouvrage sont assumés avec une étonnante fluidité dans les transitions et une large palette de couleurs. Une qualité d’articulation, une variété dans les attaques aussi, qui évitent tout durcissement de la sonorité dans les épisodes les plus animés. Aucun effet de manche, aucune idée-de-la-folie-schumanienne gratuitement plaquée ici où là – l’Opus 16 en a assez vu en la matière ... – ; le pianiste laisse parler la musique et l’apprivoise avec un exceptionnel sens narratif, tenant en haleine l’auditoire sans que le moindre temps mort ne s’immisce dans son propos.
 
Trois Préludes de J.-B. Doulcet (tirés d’un ensemble de sept, de 2016), suivent. Les influences de Rachmaninov et de Scriabine se font certes sentir, mais n’altèrent en rien le bonheur de découvrir des pièces d’humeur libre, servies par une écriture aussi riche que dénuée d’opacité.
Attaque pleine d’autorité : c’est bien aux portes de l’Enfer que le pianiste frappe au commencement d’Après une lecture du Dante. Comme les Kreisleriana, la fantasia quasi sonata lisztienne peut prêter à une théâtralisation déplacée ; comme son Schumann, le Liszt de Doulcet saisit plus par le sous-jacent que le visible. Son piano sait se faire orchestre, avec une grande variété de timbres, mais l’interprète rejette tout Inferno de cinoche pour bâtir, là encore, un vrai récit, aussi prenant que cohérent.
Deux bis, deux improvisations – sous le signe de Schumann et de Liszt –, montrent une maîtrise pour le moins bluffante dans cet exercice.
On n’avait pas entendu le pianiste depuis le Concours Long Thibaud ; son récital au Festival Européen Jeunes Talents confirme – et plus encore ! – les excellentes impressions de l’automne passé.
 
Notez dès à présent que Jean-Baptiste Doulcet sera l’invité des Pianissimes au musée Guimet, le 8 octobre prochain. (2)
 
Alain Cochard
 

(1)  www.concertclassic.com/article/concours-long-thibaud-crespin-2019-piano-le-plus-petit-denominateur-commun-compte-rendu
 
(2) www.pianissimes.org/doulcet/
 
Paris, cathédrale Sainte-Croix-des-Arméniens, 22 juillet 2020
 
Photo © Masha Mosconi / Concours Long Thibaud Crespin

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