Journal

Ivan le Terrible de Rimski-Korsakov par Tugan Sokhiev et la troupe du Bolchoï – Souffle dramatique – Compte-rendu

Après une formidable Pucelle d’Orléans de Tchaïkovski en mars 2017, Tugan Sokhiev (photo) revient à la Philharmonie avec la troupe du Bolchoï (institution dont il est le directeur musical depuis 2014) pour Ivan le Terrible de Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) – programmé la veille à Toulouse dans le cadre de la première édition des Musicales franco-russes. Cette version de concert du premier opéra de l'auteur de Shéhérazade met en valeur de superbes voix, stupéfie par le souffle dramatique des chœurs et enthousiasme par le naturel, la générosité et la conviction avec lesquels le chef ossète transfigure l’orchestre.

©AduParc - Philharmonie
 
Créé en janvier 1873 à Saint-Pétersbourg sous le titre Pskovitianka (La Pskovitaine ou La Jeune Fille de Pskov), l’ouvrage connut plusieurs moutures jusqu’à la version définitive de 1895 avec Chaliapine, reprise à Paris en 1909, grâce à Diaghilev, sous le titre plus suggestif d’Ivan le Terrible. Dans cette histoire romancée sur un livret du compositeur (d’après le drame de Léon Mey), le Tsar épargne la ville rebelle de Pskov mais sacrifie sa fille naturelle sur l’autel de ses ambitions. Rimski-Korsakov avait trente ans lorsqu’il écrivit une partition en trois actes et six tableaux alliant l’intimisme à l’épopée, le caractère populaire des rythmes et des mélodies à l’écriture la plus savante.
A la tête de musiciens pour lesquels ce répertoire n’a pas de secret (verdeur de la petite harmonie, sensualité des violons, altos et violoncelles, puissance des contrebasses et éclat des cuivres), Sokhiev conduit avec une remarquable force musicale et dramatique une interprétation dénuée de tout temps mort. On est sensible à la qualité des nuances, à la recherche des couleurs (l’interlude du premier acte, l’épisode orchestral du troisième acte, si berliozien de ton), à la clarté et à l’expressivité miraculeuse de la direction.
 

Stanislav Trofimov (Ivan) © DR

Distribution de très haut vol : l’Ivan théâtral de la basse Stanislav Trofimov (membre du Mariinsky depuis 2016) possède ferveur, autorité et toute l’ambiguïté propre à un personnage tenaillé entre l’affection pour sa fille retrouvée et la raison d’Etat. A son côté, la Olga de Dinara Alieva mêle passion, lyrisme et pureté face à son amant, le révolté Toutcha, incarné par le Oleg Dolgov, ténor au timbre non dénué de variété, mais assez tendu dans l’aigu. L’odieux boyard Matouta promis à Olga bénéficie de la subtilité d’Ivan Maximeyko, et le père adoptif d’Olga, Youri Tokmakov, gouverneur de Pskov, trouve en Denis Makarov un interprète digne de tous les éloges. Mention également pour la nourrice Vlassievna de la mezzo Elena Manistina et aux autres participants, tous investis. Les Chœurs du Bolchoï, très sollicités, se montrent dignes de leur réputation et atteignent dans l’ultime tableau une amplitude sonore qui donne le frisson. Cerise sur le gâteau, la notice d'André Lischke, spécialiste de la musique russe, fournit les clefs pour aborder une partition méconnue mais qui mérite la découverte ; on en est d'autant plus convaincu après l'avoir entendue menée d'aussi splendide façon.
 
Michel Le Naour

Rimski-Korsakov : Ivan le Terrible (La Pskovitaine), version de concert - Paris, Philharmonie, Grande Salle Pierre Boulez, 16 mars 2019
 
Photo © Marco Borggreve

Partager par emailImprimer

Derniers articles