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Inventer de nouvelles façons d’écouter la musique - 3 Questions à Paul Fournier, directeur de l’abbaye de Noirlac

Quelle est la mission du domaine de Noirlac ?

Paul Fournier : Noirlac est une abbaye cistercienne, propriété du Conseil général du Cher qui a souhaité en faire un centre culturel de rencontre. J’en ai pris la direction il y a près de trois ans maintenant, pour développer ces relations fortes entre patrimoine et création artistique qui caractérisent les centres culturels de rencontre. Auparavant on trouvait déjà des activités musicales (un festival d’art vocal dont Laurence Equilbey s’est occupée pendant les cinq ans précédant mon arrivée), des expositions, mais pas de projet structuré tel que celui que je mets en œuvre.

Comment s’organise ce projet, dans le domaine musical en particulier ?

P. F. : Je me suis attaché à aller vers les territoires, les populations car je me suis rapidement rendu compte que l’abbaye de Noirlac était perçue comme un monument un peu froid, austère, victime de ce que j’appelle le « syndrome de la Tour Eiffel » - on habite à côté, on sait que c’est là, mais on n’y va pas. Mon idée était de redonner à la population locale une confiance, une envie de revenir à l’abbaye. Nous avons ainsi mis en place les « Matinales », des rendez-vous mensuels du dimanche matin (du printemps à octobre), où nous concentrons ce qui fait le cœur de notre projet ; c'est-à-dire d’abord l’hospitalité (nous accueillons le public avec un café en un croissant). Nous proposons ensuite 45 minutes de conférence - c’est la dimension patrimoniale -, puis 45 minutes de « performance artistique » où j’invite des musiciens, des artiste de cirque, des gens de théâtre, des danseurs, etc. à venir «interpréter » le monument qu’est l’abbaye et à entraîner le public dans une déambulation qui leur donne une lecture à chaque fois différente du lieu. C’est quelque chose qui a fonctionné très vite ; chaque dimanche nous recevons environ 150 personnes vivant à proximité. On sent les gens contents : « Vous nous avez rendu notre abbaye », m’a dit un spectateur, le compliment me touche particulièrement car ma volonté en arrivant était de restituer ce monument à la population. Pour construire un projet il faut d’abord s’assurer d’un ancrage territorial fort.

A Noirlac je m’efforce d’inventer de nouvelles façons d’écouter les musiciens et de ne pas être toujours dans une relation frontale face à des artistes installés sur un plateau. J’essaie d’organiser, de spatialiser différemment la relation entre les artistes et le public et je me rends compte que des dispositifs très simples comme, par exemple, de ne pas mettre de chaises et autoriser les gens à circuler tranquillement autour des musiciens est perçu comme une liberté incroyable par les auditeurs.

Comment construisez-vous la programmation musicale de Noirlac ?

P. F. : Le Festival existe depuis une trentaine d’années (et Laurence Equilbey durant son passage a fait un très beau travail de programmation). En tant que centre culturel de rencontre, il nous fallait donner une orientation particulière à ce festival qui s’appelle désormais « Le Traversées ». Pour la plupart, les concerts proposés sont des traversées, des voyages d’un univers à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un continent à l’autre. L’idée est de mettre en regard des musiques qui, a priori, n’ont pas de lien entre elles, ou des instruments, comme par exemple avec le violon de Marianne Piketty et l’accordéon de Pascal Contet.

Nous avons par ailleurs des musiciens associés, tel Michel Godard – il pratique le serpent et du tuba – qui invite des instrumentistes pour travailler sur la relation entre la musique baroque et le jazz (l’an prochain il effectuera un travail autour de Monteverdi avec trois musiciens baroques et trois musiciens de jazz, qui fera l’objet d’un CD chez Zig Zag Territoires) En tant que centre culturel de rencontre nous devons aussi être un laboratoire pour de telles expériences.

Autres artistes associés, Philippe Nahon et son Ensemble Ars Nova donneront (le 10 juillet) un programme pour lequel les cuivres seront spatialisés dans l’église, qui possède une acoustique étonnante. Une œuvre de Martin Matalon, Traces III, conçue en fonction du lieu, sera créée à cette occasion. Le public se trouvera au cœur du son, avec des instrumentistes disposés tout autour de lui. Le 10 juillet également Brigitte Engerer et Guillaume de Chassy se produiront ensemble, l’une dans des pièces de Debussy et Scriabine, l’autre pour des improvisations jazz.

Enfin, dans les chambres des moines – les seuls espaces d’intimité de l’abbaye – nous proposons « Zone translucide », une « installation curieuse » de Frédéric Le Junter ; un plasticien et un luthier d’un genre particulier qui invente des machines sonores avec des objets de récupération qu’il parvient à faire sonner de façon remarquable.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 1er juillet 2010.

Les Traversées musicales
Abbaye de Noirlac / Cher
Jusqu’au 17 juillet 2010

« Zone translucide »/ F. Le Junter
Jusqu’au 18 juillet 2010

Programmation détaillée : www.abbayedenoirlac.fr

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Photo : DR
 

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